Je suis tombé sur ce dernier par hasard dans le cadre d’un déstockage de livres d’une médiathèque collaborant avec l’entreprise au sein de laquelle je travaille. Chester Himes. J’ai sauté dessus. Réaction de lecteur orienté.
Tout de suite, j’ai été agréable surpris par la structure de ce roman. Nous sommes à Paris, dans les années 50, du côté du Quartier Latin, une femme blanche est trouvée morte par les forces de l’ordre. Sur la scène du crime (?), quatre noirs américains. Mrs Hancock. Elle est également américaine. Une accusation de viol et de meurtre est lancée contre les prévenus.
Chester Himes présente de manière à la fois sommaire et très claire le procès, les prévenus, les arguments de la défense, ceux de l’accusation, la plaidoirie, la sentence, les réactions du public d’abord parisien, puis bien au-delà de la capitale française, des frontières françaises en situant très bien le contexte sulfureux de l’époque, les Etats-Unis étant plongés dans la ségrégation raciale, la France plutôt confrontée aux guerres de libération de certaines de ces colonies, dans un contexte de guerre froide…
Puis, l’auteur américain propose une analyse plus scrutatrice de ce fait divers, par le biais d’un écrivain noir américain, Roger Garrison, basé en France, qui, peu intéressé par la réalité ou pas des faits reprochés à ses compatriotes veut apporter la preuve de l’instrumentalisation du viol comme d’un acte politique visant à démontrer l’infériorité raciale du noir. Les réactions du public occidental, même éloignées du chaudron racial américain sont, du point de vue du Roger Garrison, identiques. Aussi entreprend-t-il de mener sa propre enquête qui permet, alors que ces hommes croupissent en prison, de comprendre le profil de ces quatre hommes appartenant à l’élite noire américaine de l’époque vivant. Profils intéressants partant des origines jusqu’à leur arrivée respective en France, leur mode de vie, leur rapport à l’autre et, en particulier, à la femme blanche.
Il donne également un profil de Mrs Hancock, qui n’est pas arrivée dans cette fameuse chambre par hasard, contrainte. Et c’est là que le roman devient très intéressant. On découvre le lien qui la lie à un des éléments de ce groupe. Alors que, à ce moment de ma lecture, la voix de Garrison semble raisonner comme étant le propre point de vue de Chester Himes, le romancier continue son détricotage de cette situation malheureuse en analysant la subjectivité et les manquements du travail du personnage de Garrison.
Ce texte est donc une très belle analyse à partir d’un cas d’école légèrement apaisé au moment où Chester Himes, la question du viol de la femme blanche par le noir, avec un regard sur les automatismes de certaines réactions que ce soit du système judiciaire français, du public ou une autocritique on pourrait penser sur sa propre vision du fait divers écrasée par sa sensibilité.
C’est une très belle réflexion sur les rapports interraciaux, qui ne saurait être réduit au seul rapport Noirs/Blancs, avec une volonté de dépassement qui apparait sur la fin du texte.
Je note que ce roman a été publié en 1978. Soit près de 33 ans après « S’il braille, lâche-le », son premier roman écrit aux Etats-Unis qui mettait déjà en scène l’instrumentalisation du viol dans les rapports raciaux sur un chantier naval pendant de la seconde guerre mondiale. Affaire de viol, déplaçant le contexte en France, fait réfléchir par la pertinence et la distance du propos de Chester Himes que l’on pourrait penser, un poil désabusé.
Un projet littéraire abouti et original, loin, très loin de la satire des romans harlèmiens du grand romancier afro-américain.Extrait :
Garrison fit en outre preuve d'un manque de curiosité vraiment déconcertant à l'égard de ce qui s'était déroulé dans la chambre. Mrs Hancock avait-elle pris l'aphrodisiaque accidentellement, ainsi que l'avait prétendu la défense, ou bien en y étant forcée, comme l'affirmait l'accusation? Et même, pourquoi ne l'aurait-elle pas absorbé volontairement? Possibilité à laquelle nul n'avait songé. L'avait-elle absorbé pour stimuler son désir sexuel? L'avait-elle absorbé pour se suicider?L'erreur fondamentale de Garrison avait été de considérer comme indifférente la culpabilité ou l'innocence des accusés, comme si elle n'avait aucune importance.Garrison avait pris l'habitude de tenir la race blanche dominante pour responsable des crimes commis par la minorité noire qu'il avait totalement le principe fondamental de l'édifice moral de toute sociéte démocratique, à savoir la supposition préalable de l'innocence.
Edition des autres, page 110
Bonne lecture !