Pour faire court (trop court), je pourrais bien succomber à l’envie, mordante et facile, de placer une fois pour toute une réponse rapide et lapidaire qui, prenant des raccourcis illégitimes, affirmerait en toute mauvaise foi que la violence, dans ces différentes manifestations, est juste intrinsèque sinon à la nature humaine du moins à une part vieillissante de sa culture. Ce ne serait pas entièrement faux. Or, j’ai l’intention de croire, innocemment, qu’il est désormais possible, et finalement ce n’est pas complètement inédit, de canaliser ce flot nerveux et pulsionnel au travers de quelques artistiques catharsis, au nombre desquels l’activité pour laquelle vous êtes ici en quête d’informations (et de plaisir de lecture j’espère) : le jeu vidéo. L’exercice, dorénavant bien rodé mais pas toujours conscient, consiste à sublimer une violence en-soi, réelle, douloureuse, en une violence pour-nous, virtuelle, jouissive et – osons-le – ludique. Celui-ci ne fait toutefois qu’imiter les déboires du monde ; il en fait le plaisir du foyer.
Pour preuve de vos/nos tendances sanguinaires et de votre soif inextinguible de kills, indifféremment au M16 ou au Stg44, ou de frags, plus couillus, infiltré dans l’ombre et couteau entre les dents, il n’est qu’à jeter quelque œil, sans oublier de le récupérer (ça peut servir), sur la production vidéo-ludique, aussi bien qu’ailleurs, et ses charts. Ainsi, les Call of Duty au nombre vertigineux et indécent d’itérations, les Battlefield et les Counter-Strike qu’on nous obligerait presque à aimer et tous les autres que je m’épargne la peine (taux fixe à 3.2 %) de citer, Doom-like en général relativement (voire pas du tout) assumés et réaménagés à la mode photo-réaliste – qui sentirait presque les pieds. Tout ça se vend, en exagérant à peine, par camions entiers ; à peu près partout. Si donc il y a violence, c’est surtout qu’il y a marché. Tatie Hermione, qui a vécu, par procuration (et procrastination) devant la télé, moult guerres, elle-même en sera gré. Il s’agit, pour le quidam comme pour l’esthète, pour l’érudit comme le vulgaire, d’en être, de participer en esprit à cette tâche ignoble, qui n’a point besoin de pousser au génocide pour être affreuse et stupéfiante et qui se veut à présent, au travers de productions à destination de vos heures en canapé, le complément licite du déversement de votre rage étouffée.
Cependant, cette violence peut tout aussi bien prendre des formes plus adaptées à la jeunesse, avec des ennemis qui font pouf mais n’en meurent (ou disparaissent) pas moins. Regardez Mario, regardez Rayman, et leur absence totale de la moindre larme de sang. C’est la période Père Noël, celle où l’on croit encore naïvement pouvoir tracer des frontières nettes entre les gentils et les méchants, se persuader que ça finit toujours bien pour les premiers et toujours tragiquement pour les seconds ; un temps d’innocence. La guerre, sale, va vite prendre le dessus. Guère longtemps après la perte de la croyance en la petite souris – de toute façon vendue au communisme. A ce niveau, on parlerait de préparation, peut-être d’initiation, à la triste vérité du caractère revanchard et brutal de l’homme, sauvé uniquement par cette sublimation que j’ai pointée. Ainsi, l’histoire se reproduit, elle s’engendre à nouveau et inspire les mondes parallèles dans lesquels nous pouvons exercer à moindre frais nos besoins de sang. Deer Hunter en est une autre démonstration. On n’échappe à la violence qu’en l’idéalisant.