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L'amour dure 3 ans

Par Ceciledequoide9

L'amour dure 3 ans (le livre)Bonjour aux Beigbederophiles
Bonjour aux Beigbederophobes
Bonjour aux zotres
Dans sa forme initiale, cette critique du roman L'amour dure 3 ans de Frédéric Beigbeder a été rédigée le 18-12-2006 sur Yahoogroupes et je pense utile de la mettre en ligne ici avant de vous reparler du film éponyme (j'adore ce mot) adapté par l'auteur lui-même que j'ai eu la chance de voir en avant première vendredi soir.
Aussi l'ai-je relue, revue et vaguement actualisée et bloguisée avec plus de 5 ans de recul.
Le sujet

Pour la première et unique fois depuis que je rédige des critiques, j'ai la sensation que rien ne saurait mieux évoquer le sujet de ce roman que quelques aphorismes qui en sont extraits.

"L'amour est un combat perdu d'avance" (première phrase du livre)
"Un moustique dure une journée, une rose trois jours. Un chat dure treize ans, l'amour trois. Un chat dure treize ans, l'amour trois. C'est comme ça. Il y a d'abord une année de passion, puis une année de tendresse et enfin une année d'ennui. (P. 27) (3)
"On vous fait croire que c'est pour la vie alors que, chimiquement, l'amour disparaît au bout de trois années. (...) La société vous trompe : elle vous vend le grand amour alors qu'il est scientifiquement démontré que ces hormones cessent d'agir après trois années." (P. 28)
"Qui êtes-vous pour oser vous mesurer à des glandes et des neurotransmetteurs qui vous laisseront tomber inéluctablement à la date prévue ?" (P. 30)
"Comment voudriez-vous qu'on reste toute sa vie avec la même personne dans la société du zapping généralisé ?" (P. 51)

Mon avis
C'est un vrai bonheur de lire L'amour dure 3 ans de Frédéric Beigbeder, non pas que le livre soit fabuleux sur le fond et inoubliable sur le plan littéraire mais au moins n'a-t-il pas la prétention de se prendre pour ce qu'il n'est pas et a-t-il l'avantage de de ne promettre rien d'autre qu'un moment léger ponctué de réflexions de l'auteur sur l'amour, le mariage, les conventions sociales, la fidélité ou son contraire, etc.
L'amour ne me semble heureusement pas un combat mais au contraire une collaboration. Cela dit, au delà de la formule un peu provocatrice qui ouvre le roman, je suis assez d'accord avec tout ce que raconte Beigbeder sur le fond et je n'ai jamais cru à l'idéal de l'amour de toute une vie. Certes, cela peut arriver et tant mieux pour celles et ceux qui le vivent mais pourquoi nous vendre encore ce schéma éculé et cette promesse quasi impossible à tenir comme une sorte d'idéal qui n'est, en fait, qu'une norme sociale ? Ce qu'il y a de plus immuable chez l'être humain c'est son instabilité, son évolution continuelle... Et cette évolution se confronte en permanence à celle de l'autre. Ce qu'il y a de plus certain sur son destin c'est qu'il est fini et qu'autour de lui rien ni personne n'est éternel, ni constant... pourquoi l'amour le serait-il ?
Mais je m'égare, revenons au livre lui-même. J'ai adoré. En fait, j'ai découvert ce livre il y a très longtemps. Au moment de sa sortie en 1997. Je déambulais dans une librairie du côté de Saint Philippe du Roule et deux livres étaient mis en avant sur le comptoir près de la caisse. Je n'avais jamais entendu parler de Frédéric Beigbeder mais le titre L'amour dure trois ans m'a immédiatement séduite autant qu'il me vrilla le coeur tant ma vie personnelle du moment semblait confirmer la déclaration de l'auteur.
L'encre de l'autre livre était à peine sèche et son auteur n'allait pas tarder à faire un énooooooooorme carton et à sortir de l'anonymat. Il s'agissait de La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules de Philippe Delerm, livre quasi-culte qu'il a réécrit plusieurs fois dans les années suivantes : il est toujours tentant d'exploiter un filon qui plaît.
J'ai acheté le second, intéressée par la 4e de couverture et je me suis promis de réfléchir à l'acquisition de premier, déjà convaincue qu'il me plairait. Et puis le temps a passé, la déferlante "99 francs" est arrivée et Beigbeder est devenu omniprésent dans les média et insupportable à mes yeux. J'ai jugé qu'il était urgent de fuir tout ce qu'avait pu produire ce type un peu fat qui semblait adorer cracher dans la soupe et faire de la pseudo-provoc facile de bourgeois gâté. Ca m'agaçait et comme j'avais déjà lu avec ennui Nicolas Rey dans le même créneau, je n'ai pas cherché à en savoir plus sur la qualité de la prose de Beigbeder. Dès lors L'amour dure 3 ans est devenu "libro non grato" dans ma bibliothèque.
Il n'y a que les imbé-Céciles qui ne changent pas d'avis. Lorsque L'Egoïste Romantique est sorti, l'image que j'avais de Beigbeder a changé. Surtout, je pense, parce que lui-même avait changé, mûri, vieilli, tout ça quoi (le syndrôme de la quanrantaine ?)... et ce que j'entendais/lisais à propos du livre, y compris les critiques négatives, me donnait très envie de le lire. On me l'a prêté au cours d'un dîner "Livres Echanges" et j'ai adoré (cf mon message du 02-08-06 dans les archives du Groupe Yahoo Qd9).
L'auteur a un sens de l'aphorisme et de l'humour voire de l'aphorisme humoristique (il n'est pas fils de pub pour rien) que je trouve d'autant plus jubilatoire et sympathique que l'autodérision est loin d'en être absente. Cette qualité permet d'excuser bien des choses.
Je suis récemment retombée sur un exemplaire Folio à 1 euro de L'amour dure trois ans et je l'ai dévoré avec bonheur. Bien sûr ce livre n'a rien d'un chef d'oeuvre mais il n'en a pas la prétention contrairement à d'autres auto-fictions ampoulées qui me sont tombés dans les mains récemment (Angot...). Beigbeder a l'intelligence de connaître ses limites et de se contenter de faire ce qu'il sait faire (et plutôt bien). Aussi écrit-il des phrases courtes, des chapitres qui le sont tout autant et ponctue-t-il sa prose d'humour et de décalages, d'une bonne dose d'autodérision là encore, qui font passer les paragraphes narcissiques comme des lettres à la poste. Il charme son lectorat plus qu'il ne tente de le convaincre. Ca doit être une forme de talent comme une autre.
Aussi je me fous un peu de savoir si Beigbeder est un grand écrivain ou pas : il a au moins le talent d'écrire avec habileté et, dans L'amour dure 3 ans, sans se prendre pour plus talentieux qu'il n'est. D'ailleurs, le passage rédigé "à la manière de" Albert Cohen est un des plus réussi à mon avis*. J'aurai, hélas, l'occasion de revenir largement sur cette ôde à la modestie Beigbedienne après avoir lu le narcisso-insupportable Un roman français (voir ma critique du
05/01/2011).
Je ferai un seul reproche à l'auteur : s'il parle de l'amour avec tant d'humour que de lucidité et de talent, il parle de la mort (la sienne, hypothétique) avec complaisance et ridicule. Heureusement il en parle peu et c'est bel et bien l'amour qui l'intéresse, sa félicité, sa fugacité, sa présence, sa fragilité, sa perte et... la naissance d'un nouvel amour.
Comme l'auteur l'avouera lui-même dans le titre d'un de ses autres romans déjà évoqué plus haut, c'est finalement un incurable romantique dont l'exigence passionnée se satisfait peu du quotidien.

Quelques extraits

J'ai souligné dans ce livre un tas de jolies formules et d'aphorismes, difficile de les citer tous.
Nous nous sommes installés dans un appartement trop petit pour un si grand amour. (P. 37)
Un jeune homme demande sa main à la femme qu'il aime. il crève de trouille, c'est mignon, il rougit, il transpire, il bégaye et elle, elle a les yeux qui brillent, elle rit nerveusement, lui fait répéter sa question. Dès qu'elle a dit oui, soudain une interminable liste d'obligations vont leur tomber dessus, dîners et déjeuners de famille, plans de table, essayages de la robe, engueulades, interdit de roter ou de péter devant les beaux-parents, tenez-vous droit, souriez, souriez, c'est un cauchemar sans fin et ce n'est que le tout début : ensuite, vous allez voir, tout est organisé pour qu'ils se détestent. (P. 38)
Notre génération est trop superficielle pour le mariage. On se marie comme on va au MacDo. Après, on zappe. Comment voudriez-vous qu'on reste toute sa vie avec la même personne quand la société du zapping généralisé ? Dans l'époque où les stars, les hommes politiques, les arts, les sexes, les religions n'ont jamais été aussi interchangeables ? Pourquoi le sentiment amoureux ferait-il exception à la schizophrénie générale ? Et puis d'abord, d'où nous vient donc cette curieuse obsession ; s'escrimer à tout prix pour être heureux avec une seule personne ? Sur 558 types de sociétés humaines, 24% seulement sont monogames. La plupart des espèces animales sont polygames. Quant aux extraterrestres, n'en parlons pas : il y a longtemps que la Charte Galactique X23 a interdit la monogamie dans toutes les planètes de type B#871. (P. 51)
Cette année j'ai beaucoup vieilli. A quoi reconnaît-on qu'on est vieux ? A ce qu'on va mettre trois jours à récupérer de cette cuite. A ce qu'on rate tous ses suicides. A ce qu'on est rabat-joie dès qu'on rencontre des plus jeunes. Leur enthousiasme nous énerve, leurs illusions nous fatiguent. On est vieux quand on dit la veille à une demoiselle née en 1976 : "76 ? Je m'en rappelle, c'était l'année de la sécheresse." N'ayant plus d'ongles à ronger, je décide de sortir dîner. (P. 62)
J'utilise les femmes pour me détester moi-même. (P. 70)
(...) elle comprit que j'avais compris qu'elle avait vu que j'avais vu qu'elle m'avait regardé comme elle m'avait regardé. (P.74)
Peut-on être heureux et, si oui, à quelle heure ? (P. 84)
Au XXe siècle, l'amour est un téléphone qui ne sonne pas. (P. 110)
Julie, tu sais, le principal intérêt du divorce, c'est qu'il permet de se laver les mains sans accrocher du savon au doigt... (...) à cause de l'alliance. (P. 137)
La vengeance est un plat qui ne se mange pas. (P. 161)
Entendre le parfum des couleurs. (P 172) ***


- Dans combien de temps tu me quitteras ?
- Dans dix kilos.
(...) Au même moment, à Paris, un artiste nommé Bruno Richard notait dans son Journal cette phrase : "Le bonheur, c'est le silence du malheur." Il pouvait mourir tranquille après ça. (P. 191)
Conclusion

J'adore. Beigbeder dit de ce livre que c'est son meilleur titre. Je ne sais pas si c'est aussi son meilleur livre mais, des 4 que j'ai lus, c'est celui que je préfère.
Un autre
message consacré à Beigbeder sur ce blog.
* Ca me rappelle indirectement ce que j'avais écrit à la fin de la critique de "la chute du British Museum" de David Lodge (le 07/10/06 mais j'avais détesté le livre) : "malgré tout, il y a quelque chose que j'ai aimé dans ce fiasco : les 10 ou 12 dernières pages. D'une part parce que j'arrivais au bout du calvaire de 236 pages et plus sérieusement parce qu'elles tranchent complètement avec le reste du roman sur le fond comme sur la forme puisqu'on y suit dans un style quasi parlé paraît-il "emprunté" au "Ulysse" de James Joyce (...).
*** Je suis jalouse de ce non sens très poétique


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