« Icare » montalbanais

Publié le 16 janvier 2012 par Toulouseweb
Le prix annuel des journalistes aéronautiques décerné à Louis Gallois.
Rarement distinction fut aussi largement méritée : les membres de l’Association des journalistes professionnels de l’aéronautique et de l’espace ont décerné le Prix Icare 2012 à Louis Gallois, président exécutif du groupe EADS. C’est une belle carrière, tout à la fois exemplaire et atypique, qui est ainsi récompensée en même temps que cette distinction implique les remerciements des médias à un homme qui a constamment dialogué avec eux avec la plus grande franchise.
Louis Gallois aborde la dernière ligne droite avant l’arrivée d’une carrière exemplaire. Dans quelques mois, âgé de 67 ans, il quittera en effet ses fonctions, avec le sentiment du devoir accompli. Il cèdera très probablement sa place à Thomas Enders, actuel patron d’Airbus, bien préparé à la tâche et qui, lui-même, devrait transmettre le flambeau à Fabrice Brégier. Le sacro-saint équilibre entre Français et Allemands au sein d’EADS/Airbus sera ainsi respecté, dans un contexte qui reste très sensible : EADS se dit entreprise mondiale mais reste néanmoins viscéralement franco-allemande. Une double culture qui, par moments, peut être difficile à gérer, d’autant que les années ont effacé de bons souvenirs qui mériteraient d’être régulièrement ravivés. Ainsi, Airbus, qui «tire» tout EADS, n’aurait jamais existé sans une volonté de reconquête du marché des avions commerciaux partagée il y a 40 ans par Toulouse et Munich. Et Eurocopter ne serait sans doute pas devenu le solide numéro 1 mondial des voilures tournantes. Et ainsi de suite.
Louis Gallois a constamment été «the right man in the right place», et cela sans prendre le risque de s’enfermer dans des postures étroites. Point remarquable, oublié de tous, après HEC et l’ENA, il a tout d’abord œuvré dans des Cabinets ministériels. Homme de sensibilité de gauche, il s’est trouvé bien dans le sillage de Jean-Pierre Chevènement. Puis, en 1989, il a été nommé PDG de Snecma, un changement d’orientation radical qu’il a maîtrisé avec un remarquable savoir-faire. Du jour au lendemain, il a jonglé avec les taux de dilution et les kilos de poussée et, surtout, les étranges règles du jeu qui président à la destinée des grands motoristes aéronautiques et spatiaux.
Trois ans plus tard, la présidence d’Aerospatiale lui a été confiée, une lourde tâche qu’il a également bien menée, en même temps qu’il était porté à la présidence du GIE ACE-Rafale, à la vice-présidence du conseil de surveillance d’Airbus Industrie et, parallèlement, celui d’Eurocopter. Puis survint un coup de théâtre, la désignation du grand commis de l’Etat à la présidence de la SNCF, en 1996. Une mission délicate, difficile, poursuivie avec persévérance pendant 10 ans, avec une sortie de scène étonnante, émouvante, Louis Gallois quittant le rail sous les applaudissements nourris des cheminots. Suivirent les épisodes Airbus et EADS dans un contexte souvent délicat.
Au cours de cette période, l’A400M a en effet frisé la catastrophe et l’industrialisation de l’A380 a été pour le moins chaotique. L’édifice a tremblé sur ses bases et a révélé des faiblesses inattendues ou, en tout cas, plus graves qu’on n’avait pu l’imaginer précédemment. Et cela malgré l’avertissement tonitruant de Christian Streiff, éphémère patron d’Airbus en 2006, qui avait décelé et révélé l’existence de néfastes hiérarchies parallèles au sein de l’avionneur européen. Seul un arbitre respecté pouvait y mettre bon ordre, main de fer dans un gant de velours.
Tout au long de ce bel itinéraire, Louis Gallois a été un dirigeant très respecté. Mais il a aussi étonné, intrigué, décontenancé ses interlocuteurs, journalistes en tête. Il n’a jamais adopté le comportement propre à la quasi-totalité des grands capitaines d’industrie français qui ont le verbe haut et sentencieux, se drapent dans la dignité supposée de leurs hautes fonctions et vivent détachés des contingences de ce bas monde, en Citroën C6, en première classe ou en jet privé, déjeunent chez Taillevent, entourés d’une garde rapprochée de yes-men. Rien de tout cela chez Louis Gallois, récompensé, sans l’avoir cherché, par un solide capital de sympathie.
On a dit, récemment, qu’au lendemain de son départ en retraite, il quitterait son pavillon de Clamart pour rentrer dans son Montauban natal et y ouvrir une librairie. La réalité sera sans doute plus prosaïque mais le Prix Icare figurera certainement en bonne place sur sa cheminée. Une distinction prestigieuse attribuée chaque année depuis 1957 et qui a donné naissance à une liste de lauréats qui raconte plus d’un demi-siècle d’histoire aérospatiale française et européenne. L’AJPAE y inscrit avec fierté le nom de Louis Gallois.
Pierre Sparaco - AeroMorning