L’amateur de bons mots et d’humanité a souvent pu constater hélas, la pauvreté des insultes et des jurons qui se déchaînent à la plus futile des occasions... Je voudrais profiter de cette période
de Noël, si riche en courtoisie et en civilité dans les magasins et sur la route, pour fournir une autre écume à ceux qui, comme le capitaine Haddock, s’abandonnent parfois, à leur corps
défendant, à cette tempête des mots.
Et d’abord, rendons à César ce qui est à César ! Visage excédé, explosion de colère que manifestent, sur chacun de ses traits, les signes
qui disent en même temps l’impuissance du langage à rendre toute la charge émotionnelle... C’est le capitaine Haddock... Mais la force de ce vieux marin du genre colérique, c’est de trouver
immédiatement les mots et de se laisser aller à la démesure, un peu à la manière d’un personnage de Rabelais, à grands renforts de gauloiseries !
Le voilà qui gronde et qui fulmine, le voilà qui s’en prend au ciel « Tonnerre de Brest » (revendiquant ainsi son statut de marin breton) ou
qui couvre d’insultes un autre personnage exutoire. Mais attention, lorsqu’il s’emporte, il en fait en même temps une affaire d’honneur personnel... en maudissant le misérable, il dresse
implicitement son autoportrait, et affirme sa différence et son aspiration à une compagnie raffinée et choisie !
Retrouvons cette verve au fil de ces moments d’éclaboussure verbale, relevé non exhaustif réalisé au gré de mes lectures de « Tintin »...
Elles révèlent la créativité langagière du capitaine et entraine le lecteur dans ce que Brassens appelle une « ronde des jurons » : Ornithorynque, boit-sans-soif, bachibouzouk, anthropophage,
cercopithèque, schizophrène, jocrisse, troglodyte, ectoplasme, Cyrano à quatre pattes, Mussolini de carnaval, coléoptère, chouette mal empaillée, apprenti dictateur à la noix de coco, gyroscope,
mameluk, vieux rafiot, scolopendre, morue dans un carton à chapeaux, sinapisme, pignouf, scaphandrier d’eau de vaisselle, bibendum, cataplasme, mitrailleur à bavette, projectile guidé...