Par Hong Kong Fou-Fou
Quand vous tapez "Joubert" sur Google, vous obtenez des réponses sur Craig Joubert (l'arbitre controversé de la finale France-All Blacks). Aucun intérêt. Brian Joubert, un patineur artistique. Pfff, ça me laisse de glace. La société Joubert, qui fabrique du contreplaqué. Vincent Joubert, un infographiste, qui fait vraiment des trucs pas terribles. Etc. Pierre Joubert n'apparaît que très loin dans les recherches. L'article qui suit va contribuer à réparer cette injustice.
Ceux de nos lecteurs qui ont été scouts le connaissent forcément. Les autres, peut-être pas. Moi, j'ai été scout. Ben oui. Pas dans la patrouille des Castors de Mitacq et Charlier, mais dans la patrouille des Chamois. "Chamois agiles et malins", c'était notre cri de patrouille. J'en vois qui ricanent derrière leur écran. Evidemment, Pine d'huître et "Scout toujours" de Jugnot, ça a fait un peu de tort à ce mouvement de jeunesse. L'uniforme, le côté religieux et paramilitaire, aussi. Pourtant, le scoutisme, c'est une super école de la vie. A l'école, on m'a appris à lire, écrire et compter. Chez les scouts, j'ai appris tout le reste (oui, tout. Il y avait des guides, aussi. Les guides, c'étaient les filles). En même temps, mon totem, c'était Souris Déglinguée. La grande époque du "Dernier pogo à Paris" de Taï-Luc et LSD. Comme quoi quand on est ado, on se construit en mélangeant des influences très diverses. La semaine en Doc Martens au collège ou au lycée, des badges de Clash ou des Specials sur mon harrington, le week-end en rangers à crapahuter dans les Pyrénées, des badges "Secourisme" ou "Cuisine" sur ma chemise Carrick.
Bref. Laissons les chamois et revenons à nos moutons. Pierre Joubert était illustrateur, "le" dessinateur des scouts. Tous les ans au mois de décembre, on partait dans nos culottes courtes faire du porte à porte et déranger les gens à l'heure de la soupe pour vendre nos calendriers, et 9 fois sur 10 ils nous refusaient les quelques francs qu'on demandait en échange de ce superbe fascicule de 12 pages ornées chacune d'un dessin de Joubert. Tant pis pour eux.
Pierre Joubert est né en 1910 à Paris. Dommage qu'il ne soit pas né à Bayonne ou Biarritz, j'aurais pu faire un chouette jeu de mots : Joubert est basque. Il fréquente l'Ecole des arts appliqués et devient scout à 15 ans. Très vite, Joubert dessine pour ce mouvement. Il a collaboré au fil des ans à de nombreuses revues comme "Le scout de France", "Ma patrouille" ou "Scout" et dessiné la couverture de dizaines de volumes de la collection "Signe de Piste".
Mais Joubert n'a pas dessiné que pour les scouts. En plus de 70 années de carrière (il a travaillé de 14 à 90 ans), il a réalisé 15000 dessins et a touché à tout. L'Histoire, d'abord, sa grande passion. Il a notamment illustré des livres sur l'héraldique, ainsi que la série "La vie privée de Goudurix". Non pardon, il a refusé, c'est Aslan qui s'en est chargé, je voulais dire "La vie privée des hommes", consacrée aux hommes préhistoriques, aux Vikings, aux Aztèques, etc. Il a également peint pour le Musée de la Marine. Il a abordé la publicité (Suchard, Lanvin). Et puis l'aventure, avec plus de 400 couvertures chez Marabout. Des biographies de personnages célèbres (Jean Mermoz, Surcouf, Charles de Foucauld, etc.), des récits historiques ou tirés d'histoires vraies ("La R.A.F tient bon", "Arrachés à la montagne", "Le drame de l'Andrea Doria", etc.). Et, surtout, les couvertures des aventures de Bob Morane (Bob Morane contre tout chacal, l'aventurier contre tout guerrier, celui-là, oui). Des titres évocateurs comme "Le mystérieux Dr. Xhatan", "Le Samouraï aux mille soleils" ou "Les sortilèges de l'Ombre Jaune" sur un dessin de Pierre Joubert, un texte d'Henri Vernes, des illustrations intérieures de Dino Attanasio... Que pouvait demander de plus un gamin avide d'exploits et d'évasion ?
Joubert pouvait vous dessiner un gallion espagnol, une pyramide inca, un guerrier peul, un avion de chasse anglais, une moissonneuse-batteuse tchétchène d'un réalisme à couper le souffle. A couper la chique, dans le cas du gallion.
Par contre, contrairement à d'autres illustrateurs férus d'Histoire comme par exemple Fred et Lilian Funcken, il n'a pratiquement jamais touché à la BD. Il disait qu'il n'arrivait pas à s'exprimer sur une surface aussi petite qu'une case de BD.
Alors pourquoi Pierre Joubert ne jouit-il pas de la reconnaissance qu'il mérite ? Parce qu'il était catho et souvent associé (à tort) à une droite musclée ? Je ne veux pas croire ça. L'art transcende les étiquette politiques. Y en a marre des étiquettes. C'est collant, les étiquettes (remarquez, c'est un peu ce qu'on leur demande). Pour être honnête, il y a quand même eu en 2010 une rétrospective de l'oeuvre de Pierre Joubert, pour le centenaire de sa naissance. Mais c'était la première. Il était temps...
Je parlais plus haut d'Aslan, un autre grand illustrateur du siècle dernier. Pourquoi est-ce que lui a trouvé la reconnaissance du public et de la critique (quand j'écris "lui", je parle de lui, pas du magazine "Lui" pour lequel il travaillait...) ? Certes, la pin-up se vend mieux que le boy-scout. Remarquez, Joubert n'était pas manchot non plus quand il s'agissait de dessiner de charmantes jeunes femmes. Regardez le dessin en tête de cet article. Comme Bob Morane, je veux bien moi aussi être attaché à la merci de Miss Ylang-Ylang... Et Milo Manara, tiens ! On fait des gorges chaudes de son talent (lui fait plutôt dans le genre "Gorge profonde"). Ben désolé, mais moi je n'ai pas eu le déclic...
Mais je m'égare. Trêve de bavardages confus. Voici quelques illustrations de Pierre Joubert, qui vous prouveront que lui ne s'emmêlait pas les pinceaux.
A gauche, un calendrier que je me souviens très bien avoir vendu, du haut de mes 12 ans, bravant dans la rue le blizzard de décembre, mon béret enfoncé jusqu'aux yeux. A droite, une couverture de la revue Signe de Piste.
Trois périodes de Bob Morane. En regardant le dessin de droite, je vais finir par croire que le grand brun aux cheveux en brosse aimait bien être attaché...
Chez Marabout, Bob Morane n'était pas le seul héros aux épaules larges et aux cheveux bien dégagés sur les oreilles. Il y avait aussi Kim Carnot, Gil Terrail, Nick Jordan, Jo Gaillard (ne surtout pas confondre avec l'Homme du Picardie). Dylan Stark, aussi, un personnage de western.
L'aventure, ça ne se vit pas que dans le repaire d'un génie du Mal ou au coeur de la jungle (prononcez "jongle", merci). Heureusement pour moi, dans un laboratoire, face à une éprouvette ou à un oscilloscope, on peut aussi se sentir un homme.
Comme il est écrit sur la quatrième de couverture de ce roman paru en 1968 chez Marabout Mademoiselle, "le yéyé, c'est la santé !" Ouf, j'ai cru que ces jeunes chantaient des chants révolutionnaires...
De nombreux livres sont consacrés à l'oeuvre de Joubert. Ils ne se trouvent pas facilement en librairie, mais vous pouvez les commander ici :