Ruines de l’abbaye de Heisterbach, 1863.
Huile sur toile, 73,2 x 81,2 cm, Paris, Musée du Louvre.
(photographie RMN/Gérard Blot)
Comme nombre de ses confrères issus du mouvement de renouveau de la musique baroque, Philippe Herreweghe, connu notamment pour être un des serviteurs les plus constamment inspirés de Bach, s’intéresse de près au répertoire romantique et postromantique, dont il propose, depuis une petite vingtaine d’années, des visions souvent passionnantes à défaut d’être toujours pleinement abouties. Après avoir livré une belle lecture de son Deutsches Requiem en 1996 pour Harmonia Mundi, il revient aujourd’hui à Johannes Brahms dans un disque rassemblant quelques-unes de ses œuvres pour chœur et orchestre, publié par son propre label, Phi.
Comme le rappelle très justement le livret, les compositions chorales avec accompagnement orchestral jouissaient, tant auprès du public que des musiciens allemands du XIXe siècle, d’une position privilégiée et honorée. Conscient des attentes suscitées par le genre, Brahms prit tout son temps avant de s’y risquer, étudiant le contrepoint et la fugue tout en se plongeant dans l’univers des maîtres du passé, tels Palestrina ou Schütz, dont une œuvre comme Ein deutsches Requiem, ébauchée vers le milieu des années 1850 et créée en 1868, témoigne d’une imprégnation et d’une compréhension bien réelles. Les premiers essais achevés du compositeur datent de 1858, avec un Ave Maria (opus 12) et le Begräbnisgesang (Chant funèbre, opus 13) enregistré sur ce disque. Écrite dans la sombre tonalité d’ut mineur, dont on sait qu’elle pouvait incarner, aux yeux de la génération romantique, le poids du destin, cette pièce pour chœur, douze instruments à vent et timbales, dans laquelle on peut justement voir un embryon du Deutsches Requiem, met en musique un poème de Michael Weisse datant de 1531 ; le choix d’un texte ancien, ainsi que l’utilisation d’une mélodie de choral et d’une palette de couleurs restreinte confèrent à cette marche funèbre un caractère de sobre solennité volontairement teinté de couleurs archaïques. On mesure sans peine le chemin qui a été parcouru par le musicien en écoutant immédiatement à la suite l’Alt-Rhapsodie (Rhapsodie pour alto, chœur d’hommes et orchestre, opus 53) datant de 1869. L’ambiance est, cette fois-ci, totalement romantique, doublement même, car le poème de Goethe utilisé par le compositeur l’est de façon fragmentaire, ce qui oblige l’auditeur à se souvenir – réflexe romantique par excellence – des parties manquantes.
L’interprétation que livrent Philippe Herreweghe (photographie ci-dessous) et ses troupes de ces cinq pages est indiscutablement de très haut niveau. Comme toujours avec ce directeur d’ensembles, aucun détail n’a été laissé au hasard et la mise en place est absolument impeccable. À tout seigneur, tout honneur, le Collegium Vocale Gent demeure, tout en épousant l’esthétique chorale assez fondue voulue par le chef, d’une lisibilité, d’une cohésion et d’une transparence parfaites. Tout sonne ici avec beaucoup de densité et de rondeur tout en demeurant parfaitement net et détaillé, et il faut, sur ce point, saluer la précision de la prise de son d’Andreas Neubronner ainsi que la production exigeante de Michel Stockhem qui contribuent également à la réussite de l’entreprise. L’Orchestre des Champs-Élysées continue à se bonifier au fil des enregistrements, offrant des couleurs vraiment séduisantes, en particulier du côté des pupitres des vents, lesquels conjuguent puissance et sensualité de façon très convaincante.
Que cette petite réserve ne vous empêche pas de partir à la découverte de ce magnifique enregistrement dont la hauteur de vue interprétative et la qualité de la réalisation font une anthologie à connaître absolument pour qui aime Brahms, la seule, à ma connaissance, à proposer en un seul disque la réunion d’œuvres majeures pour chœur et orchestre du compositeur dans une optique historiquement informée. On espère vivement qu’après ce passage globalement réussi en terres brahmsiennes, Philippe Herreweghe aura l’envie de revenir aux partitions chorales d’Anton Bruckner dont il est sans doute actuellement un des meilleurs serviteurs.
*Ann Hallenberg, mezzo-soprano
Collegium Vocale Gent
Orchestre des Champs-Élysées
Philippe Herreweghe, direction
1 CD [durée totale : 56’48”] Phi LPH 003. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extrait proposé :
Gesang der Parzen, op.89
Des extraits d’une minute de chaque plage du disque peuvent être écoutés ici :
Johannes Brahms : Œuvres pour chœur & orchestre | Johannes Brahms par Philippe Herreweghe
Illustrations complémentaires :
Johannes Brahms en 1889, photographie de C. Brasch. New-York, Public Library.
La photographie de Philippe Herreweghe est de Michiel Hendryckx, tirée du site Internet du Collegium Vocale Gent.