Il est difficile, dans cette campagne présidentielle à 200 km/h sur fond de cataclysme économique, d’isoler un mot ou un fait de la semaine qui vient de s’écouler. Mais, si je devais absolument répondre à cette question pour les 7 derniers jours, mon choix serait somme toute assez simple : la déclaration faite par Jean-François Copé devant le Bureau politique de l’UMP, pour se féliciter de l’efficacité de ses porte-paroles et tirailleurs chargés de harceler l’adversaire socialiste. « Chez nous, c’est massacre à la tronçonneuse ».
Il est presque étonnant que cette saillie quand même pas banale n’ait pas fait plus de bruit. Il faut dire que Jean-François Copé ne l’a pas tenue publiquement, mais à huis-clos, devant témoins. Il n’a pas de chance, l’ami Copé : quelques jours auparavant, des journalistes rapportaient d’aussi peu amènes propos du chef de l’UMP sur les « minables » qui se contentent d’un modeste défraiement de parlementaire. Je veux bien imaginer que le malheureux n’ait décidément pas de chance, et que tout ce qu’il dise soit systématiquement déformé et amplifié. Mais en l’absence de protestation virulente au sujet du « massacre à la tronçonneuse », admettons qu’il a effectivement proféré cette louange originale pour ses troupes.
Que l’on ne s’en scandalise pas plus est un bon indicateur du niveau de frénésie et de violence verbale qui caractérise cette campagne, et auquel tous les observateurs se sont petit à petit habitués. Le vocabulaire martial est un classique du discours politique ; on parle facilement de « snipers », à gauche comme à droite. Mais l’image de Copé est saisissante car elle marque un changement de degré et de nature. La frappe « chirurgicale » du sniper est directe, nette et sans bavure. Les coups de tronçonneuse sont bruyants, grossiers, et multiplient les dégâts collatéraux. Surtout, on passe de l’image du tir à celui du massacre, ce qui n’est pas rien, comme le montrent quelques synonymes glanés dans le dictionnaire : « boucherie, destruction, dévastation, génocide, hécatombe, pogrom, tuerie. ». Du film de guerre au film gore. Le tir du sniper a une cible et un objectif précis ; le massacre vise l’éradication des forces adverses, pour elle-même et sans autre fin.
On pourrait épiloguer longuement sur ce que cela révèle de l’imaginaire sarkozyste, dont l’ex-chiraquien se fait le porte-parole (je dirais presque l’aboyeur), façon Patrick Bateman de Seine-et-Marne. La brutalité, la grossièreté, la haine des adversaires, une conception de l’affrontement politique dans laquelle le vaincu n’a pas de place : après tout, l’ouverture des premiers mois de 2007 visait d’abord à pulvériser la gauche, à éradiquer l’opposition pour ne laisser de place qu’au seul grand parti des amis du président. Dans le contexte actuel, cette violence verbale prend un autre sens, et une signification d’une autre ampleur. C’est le réflexe désespéré d’une bête traquée qui, acculée par son bilan, par les sondages et par le contexte international calamiteux, ne peut plus gagner que par défaut de ses adversaires. Toute l’énergie de la campagne pas encore commencée du président-candidat est alors concentrée sur un tir de barrage contre François Hollande, au mépris des règles élémentaires du débat public, de l’honnêteté intellectuelle et du respect le plus élémentaire. Mentir, insulter, parasiter, faire diversion, anything goes. Les occupants du château assiégé jettent du haut des murailles tout ce qui leur tombe sous la main pour briser les assaillants.
Et pendant ce temps, à quelque jours d’intervalle, le FN se conforte dans les sondages, et le fameux AAA du pays finit par tomber. Le contraste est cruel entre la gravité de ces événements, et le ricanement satisfait du dirigeant de l’UMP devant les efforts destructeurs de ses lieutenants. Mais ce contraste fait sens. La montée du FN, c’est aussi et d’abord la conséquence du sentiment de l’impuissance des politiques, plus prompts à se jeter des saloperies à la figure qu’à faire gagner l’intérêt général. La perte du AAA, c’est – tout le monde le dit et même les agences – la suite mécanique de l’entêtement du président dans une politique idéologique, inefficace, douce pour les siens et dure pour les autres – l’entêtement à ne pas écouter l’opposition. On ne peut pas être un as du démembrement à la Tobe Hooper et un bon chef d’État : il faut choisir. Et le choix a visiblement été fait depuis longtemps.
Romain Pigenel
Merci, dans l’ordre, à Vlad @unraleurdeplus et à @Domydom pour les deux illustrations de cet article !
Le massacre des mots de la politique continue ici.