Magazine Voyages

La vie, comme un éclair lent et soudain silencieux

Publié le 15 janvier 2012 par Perce-Neige

La vie, comme un éclair lent et soudain silencieuxA supposer que le monde vous épuise. Et que l’horizon se fige, ou s’obscurcisselentement à mesure que l’on vous parle, tout bas, d’infiniment sérieux, tout envous exhortant, mine de rien, à vous extraire illico de vos songes. A supposer que vous n’en ayez, réellement,plus rien du tout à faire de cette morale, de ces leçons de choses, de cetteenvie, dévorante, d’anéantir complètement celles et ceux qui persistent à vouloirdanser. A supposer que les mots aient une âme. Et qu’il faille communier, aularge, pour retrouver le goût de chanter. A supposer que vous passiez l’aprèsmidi tout entier (ciel voilé), à lire, de bout en bout, le (très beau) texte deJean-Michel Lou « Corps d’enfance, corps chinois. Sollers et la Chine »(L’Infini. Ed. Gallimard). A supposer… Je suis prêt à parier, mes ami-e-s, mille milliards de kopecks sur la table, au moins, que vous n’auriez alors de cesse devous employer à recopier, à la main, dans votre cahier bleu, chacun desextraits qui vont suivre. A lire à voix haute, naturellement (et sans chercher à comprendre). D’abord ceci (in La fête à Venise) :
Comme toujours, ici, vers le dix juin, la cause est entendue, leciel tourne, l'horizon a sa brume permanente et chaude, on entre dans le vraithéâtre des soirs. Il y a des orages, mais ils sont retenus, comprimés, cernéspar la force. On marche et on dort autrement, les yeux sont d'autres yeux, larespiration s'enfonce, les bruits trouvent leur profondeur nette. Cette petiteplanète, par plaques, a son intérêt.
Ou bien (in Secret)
À la longue, la main qui écrit vient d'un autre corps qui enveloppeet comprend le corps, ses déplacements, sa flexibilité, ses respirations, sescourbures, ses oublis, ses ondes, sa buée d'ondes. La durée, comme un orage,est mise à distance. (…) Maintenant, allonge-toi dans le temps. Attends que lesphrases se forment toutes seules et montent à la surface comme des segmentsd'air, globules, gouttes, étincelles, divisions, gestes, timbres. Tu sais queces fleurs blanches de pommier, devant toi, sur fond de nuage gris fer, serontdans quelques mois de petites sphères rouges détachées sur du bleu liquide. Tusais que les iris, le fenouil, les giroflées, les lilas, seront remplacés parles rosiers, la lavande, les cannas et les lavaters. Que tu sois mort ou vivantn'y changera rien. Les vagues deviendront des risées. Les averses et le ventseront immobilisés sous un fronton jaune.
Ou encore (in Un vrai roman)
Un temps gris doux, sans vent, est idéal pour écrire. Peu à peu, leciel s'éclaircit, le soleil perce, les couleurs s'affirment. J'irai me baigneren fin d'après-midi, emmené par une légère brise nord-est, petites ridescontinues sur l'eau, le rêve. Le rosier, protégé par un pan de mur et le mimosaet l'acacia enlacés, fleurit et refleurit ses grands calices rouges de cœur. Jetraverse la route, je suis immédiatement sur la plage, il n'y a personne, jedois, pour entrer dans l'eau, franchir un mur d'algues où j'enfonce jusqu'auxgenoux, et ensuite c'est l'océan calme dans le soleil, un banc de mouettes àgauche, un autre à droite. Elles acceptent, et c'est rare, l'humain qui se mêleà elles. Je n'ai aucune mauvaise intention, c'est la paix.
Ou bien (in L’étoile des amants)
Le vent léger dans le laurier, tout près, de l'autre côté de la fenêtre,est un miracle. Un frisson violet vibre du haut du crâne jusqu'aux orteils, jerespire avec les talons, je sors dans le jardin, je cours nu un moment dansl'herbe.
Ou ceci (in Une vie divine)
Le soleil rouge perce, l'eau se plisse de brise, l'odeur de varechet de sel me reçoit. Je suis en bois, en toile, en plume, en bec, en algue, endoigts. Mes oreilles voient, mes yeux écoutent, mon cœur pense. Tout à l'heure,il sera midi, mais un midi pas comme les autres: « Midi et éternité, indicespour une vie nouvelle »
Et, enfin, comme autant de trainées silencieuses dans le ciel étoiléde Provence, ceci (in L’étoile des amants)(encore)
Il écrira des trucs comme ça en rentrant chez lui, après avoir bu unverre de vin. /…/ Il s'arrête devant des abricotiers, mais cela pourrait être,ailleurs, un platane étrangement noueux ou un buisson de lavande. /…/ Des gruesvolent au loin devant lui, ailleurs ce seraient des goélands ou des mouettes. /…/Pas de rochers ni de cascades, chez nous, pas de tourbillons verticaux rien quele roulement de l'océan, là, à droite.

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Perce-Neige 102 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine