Comme on est dimanche, je vais me contenter d’un simple passage en revue d’une semaine qui fut riche en rebondissements. Des fois, une petite prise de recul est nécessaire lorsque le rythme des événements s’accélère…
Et cette semaine, le terme « accélération du rythme » est amplement justifié.
Ainsi, en début de semaine, qui aurait pu prévoir que la France allait perdre à brève échéance son triple-A tant garanti par nos élites dirigeants, hein, qui ?
Ok. À peu près la moitié des observateurs avec deux sous de bon sens et la plupart des libéraux. Et au-delà, on se rappelle que Dagong, l’agence chinoise dont j’avais déjà un peu parlé (ici par exemple) avait largement dégradé la notation des dettes souveraines françaises depuis des mois. Du reste, on pourra lire avec amusement le rapport de Natixis sur cette même agence et cette même notation qui conclut, sombrement, que Dagong a raison et que ce sont les autres agences qui sont bien trop optimistes.
Mais bon, ça fait toujours un choc.
… En fait, même pas. On se rend compte que la perte de la notation française était une simple étape obligée dans la chronique amusante d’une lente décomposition déjà fort avancée. Les gesticulations du président et du gouvernement n’en sont que plus futiles tant tout ceci ressemble à un scénario déjà scripté depuis des mois. On pouffera en se rappelant la prédiction profonde de Attali Le Zéro qui avait évoqué la dégradation avant la fin décembre avec 50% de chance.
À présent, et si l’on oublie les conséquences forcément fâcheuses que cette dégradation va provoquer comme le décrit fort à-propos cet article de Contrepoints, on pourra regarder d’un oeil tout de même un peu goguenard les articles de presse se suivre et se ressembler dans leur effarante médiocrité : on analyse un peu de-ci de-là les impacts d’une telle nouvelle sur la campagne présidentielle, mais on note assez clairement la petite musique, véritable mantra, bruit de fond impalpable mais systématiquement présent, sur l’air du « Ce n’est pas si grave » et « Les marchés ont déjà intégré la nouvelle note ».
On voit même les cuistres habituels s’emparer de leurs stylos ou répondre à de gros micros mous. Par exemple dans Libération, on découvre que « cette dégradation est totalement injustifiée » selon l’économiste qu’on a déterré pour l’occasion. L’Etat français excrète de la dette par tous ses pores depuis 40 ans, ne fait aucun effort pour la réduire ni réduire ses dépenses, assomme les contribuables de taxes et d’impôts, se débat dans une conjoncture économique dont tout montre qu’elle va s’empirant, mais non, non !, dégrader sa note est injustifié ! Et quand ce ne sont pas des économistes atterrants qui veulent absolument faire rendre gorge à ces méchantes agences, ce sont les politiciens, minables drapés de la colère d’un outrage qu’ils ne comprennent même pas, comme le Méluche, menu fretin excité de Mer Rouge, ou le Barniacle, mollusque européen de type saprophyte.
Avec ce genre d’olibrius vibrants d’incompétence économique, il n’est dès lors pas étonnant de lire des petits articles consternants dans la presse, suite à l’arrivée de Free dans le marché fort verrouillé de la téléphonie mobile.
Car c’est là le second élément clef de cette semaine de folie : Free a choisi de dévoiler ses offres mobiles et — ô stupeur ! — elles sont deux fois moins chères que celles des concurrents, cartel peu discret de pigeonneurs sans scrupules acoquinés depuis des lustres avec un Etat bien trop complaisant.
Et à la suite de ces propositions qui, à l’évidence, mettent un fumeux bazar dans la belle entente cordiale qui régnait chez nos téléphonistes, la tonte du consommateur va devoir s’arrêter ; rapidement, les trois opérateurs, SFR, Bouygues et Orange, ont commencé à suer des mains et des pieds pour tenter d’endiguer le flot de clients qui fuyaient leurs services devenus, en comparaison, hors de prix.
Il n’a pas fallu longtemps pour que l’un d’eux se fende d’un communiqué, bien (trop ?) vite repris par le journaliste d’astreinte ce jour-là, pour expliquer qu’une telle baisse de prix … allait coûter des milliards à l’Etat français. Eh oui : des prix qui baissent, c’est une mauvaise affaire pour le Ponctionneur Général :
« Le manque à gagner sera de plusieurs milliards pour l’Etat français. Tous les opérateurs vont être obligés de s’aligner sur les tarifs de Free Mobile. Cela entraînera une baisse du chiffre d’affaires et des bénéfices. »
On déplorera l’absence totale de toute analyse du journaliste un minimum stupéfaite devant une affirmation aussi parfaitement crétine. Oui, effectivement, Free va obliger l’oligopole téléphonique à se bouger les fesses et à réduire ses marges scandaleuses. Oui, l’Etat enflera un peu moins le contribuable et le consommateur. C’est vraiment dommage. Mais d’un autre côté, lorsque les prix de l’essence dégringolent, y a-t-il un esprit assez idiot pour s’écrier « Oh, zut, l’Etat va faire moins de rentrées fiscales » ? Lorsque les supermarchés, les avions ou d’autres services low-cost sont apparus, a-t-on trouvé un imbécile pour s’écrier « Tout ces prix bas, cela va mener à la ruine de l’Etat français, c’est mal. » ?
Peut-être, mais en tout cas, aucun journaliste n’avait relevé le défi de placer son Q.I. suffisamment bas pour retranscrire l’interrogation dans un poignant article sur son site.
Ben avec Free, c’est maintenant chose faite. Ça mérite un Pignouf Award, tiens.
Et pendant que Niel faisait les gros titres de journaux un peu désœuvrés en attendant l’orage de fin de semaine, la campagne pour la présidentielle de 2012 battait son plein creux habituel et nous eûmes, veinards que nous sommes, droit aux plus beaux débats de fond sur les questions essentielles que se posent les Français pour l’avenir de leur pays.
Par exemple, le mariage gay a été rapidement remis au goût du jour par le président lui-même. C’est vrai, ça, c’est un sujet brûlant et qui est violemment réclamé par une poignée d’associations activistes, et dont 97% (au bas mot) de la population se fiche comme d’une guigne. Finalement, la perte du triple-A va nous épargner les insupportables gémissements d’associations micro-représentatives et les cris d’orfraie parfaitement calculés d’autres associations et mouvements politiques plus ou moins crédibles.
D’ailleurs, ce thème du mariage homosexuel s’est inséré dans le discours présidentiel au moment précis où le Parti Qui Se Dit Socialiste Sans Avoir Honte proposait, comme une « option » (dixit la spécialité laitière 0% de matière grise), de revoir les modalités du quotient familial. Grâce à un calcul savant comme seuls les crânes d’œuf de Bercy et les socialistes en campagne savent en pondre, notre guilleret candidat nous annonce donc qu’avec cette réforme « la moitié la plus riche de la population reverserait 3,5 milliards d’euros à la moitié la plus pauvre dans l’hypothèse de l’introduction d’un crédit d’impôt forfaitaire. »
A présent, ami lecteur, je te demande de me ressortir un exemple concret, chiffré et connu d’un calcul, mené par un candidat, qui s’est très bien réalisé dans la réalité. Ensuite, ami lecteur, compte-tenu de l’historique flamboyant obtenu, je te demande d’en déduire la probabilité qu’effectivement, une moitié de population riche va bien distribuer tant de milliards à l’autre moitié, plus pauvre, sans que ça se termine avec des chiffres bien plus petits, et pas mal de sang et de larmes.
Enfin, parallèlement à ce déchaînement de pignouferies, la presse française s’est empressée de découvrir le candidat Ron Paul à la faveur de son score de second dans les primaires du New Hampshire. Elle est toute surprise, d’ailleurs.
C’est vrai, quoi, personne ne l’avait vu venir, le gars Paul. Et qui donc pouvait penser qu’avec de pareilles idées lunatiques, il arriverait à rassembler autant de monde ? Personne ne pouvait prévoir qu’en demandant à l’Etat américain de revenir à ses racines, d’arrêter les guerres, d’imprimer des dollars rigolos, de faire de la dette comme jamais, de se recentrer sur ses missions de bases, personne, dis-je, ne pouvait prévoir que … les gens seraient d’accord avec ces idées absurdes !
Eh oui : tout le monde sait qu’on ne peut se sentir bien qu’avec un état bouffi et ses gros doigts boudinés dans tous les pots de confiture capitaliste, avec des millions de fonctionnaires qui travaillent pour lui, avec des cohortes de politiciens à rémunérer, des services publics dans tous les endroits et des petites caméras partout pour bien s’assurer que les gens mettent les sucres bien droit dans leur tasse.
Et surtout, tout le monde sait qu’il faut absolument payer pour tout ça avec moult impôts et force taxes ! Yeepee, c’est trop cool, la bonne grosse taxe ! Et quand les taxes ne peuvent plus suivre, rien de tel qu’un bon gros déficit, hein !
Forcément, Ron Paul, il n’a rien compris avec son idée de budget équilibré et ses impôts modérés pour nourrir un état aussi petit que possible. Pffuuu.
On comprendra devant une telle lecture que la presse française a eu un peu de mal à déciller et à interpréter le message crypté que lance Ron Paul dans sa campagne, d’autant plus qu’aucun candidat, ici, en France, ne tient un discours s’en rapprochant même de loin. Et forcément, si ça n’existe pas en France, si aucun politicien ne réclame un état plus petit, c’est que l’idée est incompréhensible.
Normal, ce n’est pas français !
Plus de triple A, des économistes qui racontent absolument n’importe quoi, des politiciens qui se font fort d’amener sur la place des débats tout moisis et sans intérêts, une presse encore une fois en retard de 10 ans … Pas de doute, c’est la France et ce pays est foutu.