Via la Federal Reserve (Fed), le gouvernement US paye des intérêts d’une main pour les récupérer de l’autre.
Par George Kaplan
Bien sûr, ce n’est pas parce que ces obligations sont détenues par la Fed que le gouvernement des États-Unis ne paie pas d’intérêts. Comme dans la plupart des pays civilisés, le U.S. Department of the Treasury n’a pas le droit de venir se financer directement auprès de sa banque centrale. Le portefeuille de la Fed ne résulte donc pas d’achats d’obligations d’État sur le marché primaire mais de ses opérations dites d’open market ; c’est-à-dire de ses achats d’obligations sur le marché secondaire qui lui permettent de piloter la liquidité disponible sur le marché interbancaire et donc le niveau des taux à court terme – bref, ce portefeuille résulte de l’activité normale de la Fed et devrait continuer à grossir avec la masse monétaire américaine.
Sauf que, ces derniers temps, les opérations d’open market ont pris un tour quelque peu inhabituel avec les deux (bientôt trois ?) phases d’assouplissement quantitatif (Quantitative Easing) : du 10 septembre 2008 au 4 janvier de cette année, le portefeuille de Treasuries de la Fed a été multiplié par un facteur de 3,5 [3]. Donc, la Fed gagne énormément d’argent sur ce titanesque portefeuille : avec un taux moyen estimé à 3,7% en 2010 et 2,94% en 2011, ce sont des milliards de dollars d’intérêts qui sont payés chaque année par le Trésor US à sa banque centrale.
Seulement voilà, la Fed – qui n’est pas vraiment une entreprise privée – n’a pas le droit de garder ses gains. Lorsqu’elle touche des intérêts, elle en utilise une infime partie pour ses frais de fonctionnement et doit reverser le reste… au Trésor des États-Unis. En 2011, ce sont ainsi $76,9 milliards qui sont revenus dans les poches d’Oncle Sam – soit 17% des intérêts payés sur la dette publique ($454,4 milliards). Oui, vous avez bien compris : le gouvernement US paye des intérêts d’une main pour les récupérer de l’autre et il fait ça sur 16% de sa dette.
Résumons : la Fed fait chauffer à blanc sa planche à billet pour acheter des Treasuries sur le marché ; cet énorme flux acheteur fait baisser le niveau des taux d’intérêts et permet donc ainsi au Trésor de se financer à moindre coût ; ce faisant, la Fed engrange des quantités monumentales de Treasuries dont elle s’empresse de reverser les intérêts à celui-là même qui les lui a payé. C’est donc 16% de la dette qui ne coûte, en réalité, rien parce qu’elle a été rachetée par des dollars fraichement imprimés à cet effet. Je ne sais pas pour vous, mais moi j’appelle ça de la monétisation pure et simple.
Mieux encore : il ne vous a pas échappé que cette même Federal Reserve ne semble pas particulièrement pressée de faire remonter les taux ; c’est une mesure typiquement keynésienne de soutien à l’économie me direz-vous sans doute. Oui, c’est possible mais vous me permettrez de faire un peu de mauvais esprit en soulignant que (i) étant donné sa dette et son déficit budgétaire abyssal, je suis à peu près certain que le gouvernement étasunien se satisfait très bien de cette politique et (ii) il semblerait que le portefeuille de la Fed affiche une duration en dollars de près de $900 milliards ; c’est-à-dire qu’une remontée de taux de 0,01% (1 point de base) coûterait à la Fed (et donc au Trésor) $900 milliards de dollars. Autrement dit, une politique de taux hyper-accommodante, c’est surtout l’intérêt bien compris des politiciens de Washington qui se préparent à siphonner l’épargne de leurs compatriotes à commencer par leurs retraites.
La Fed n’est rien d’autre que le plus gigantesque faux monnayeur légal de l’histoire.
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Sur le web
Notes :
[2] En excluant la dette intergouvernementale (ce qu’Oncle Sam se doit à lui-même).
[3] La taille du portefeuille d’ensemble, qui inclut les $900 milliards de MBS et autres dettes des GSEs (Fannie Mae et Freddie Mac), a été multipliée par un facteur de 5,4.
[4] Contre $79,3 milliards en 2010.