Temps de travail: la ficelle sarkozyste était trop grosse

Publié le 15 janvier 2012 par Juan
Jeudi, le quotidien Les Echos relayait une évaluation de l'institut COE Rexecode de la durée « effective » du temps de travail en France et en en Europe. La conclusion était limpide: en France, on travaille moins qu'ailleurs. L'organisme, un institut qui se revendique proche du patronat, était catégorique: « La durée effective du travail en France est une des plus faibles d’Europe ».
L'argument tombait à pic, comme le nota le Point, un hebdomadaire peu suspect d'antisarkozysme primaire. COE Rexecode promettait une comparaison qualifiée d'inédite des statistiques relatives au temps de travail en Europe. « A la demande de Coe-Rexecode, Eurostat a réalisé une exploitation spéciale de l'Enquête sur les Forces de Travail afin de calculer des durées effectives annuelles moyennes du travail comparables pour les 27 pays de l’Union Européenne. » La nouveauté résidait dans la réintégration, dans la comptabilisation des durées de travail effectif, des salariés ou non-salariés n'ayant pas travaillé pour motif de congés ou d'arrêt maladie, maternité, etc. En réintégrant ces derniers, on faisait évidemment baisser la moyenne travaillée de l'ensemble.
Fort de cette « exploitation spéciale » des données, l'institut patronal livra deux conclusions principales, toutes deux démontées en quelques heures.
Les Français travailleraient moins que les autres Européens ? Faux.
C'était un vrai bobard. Le titre du communiqué de presse de COE Rexecode était très largement approximatif:  « La durée effective du travail en France est une des plus faibles d’Europe ». L'argument était formidable, comme tout droit sorti des constats de l'UMP dans son programme. D'ailleurs, dès jeudi matin, le parti sarkozyste lâchait un communiqué victorieux: « Les salariés Français sont ceux, hormis les Finlandais, qui travaillent le moins en Europe. Une étude de l’institut de recherche économique COE-Rexecode montre en effet que les salariés français à temps plein travaillent en moyenne 225 heures en moins chaque année que leurs homologues allemands. Soit environ 6 semaines de moins par an ! Résultat, l’écart entre les économies allemandes et françaises ne cesse de s’accroître. La croissance, le chômage, la dette sont moins forts en Allemagne qu’en France. »
Seulement voilà, c'est faux. Et pour trois raisons.
1. L'institut lui-même fournit un premier motif: ce ne sont pas les Français, mais les-Français-non-chômeurs-et-salariés-à-temps-complet qui, d'après Rexecode, travailleraient moins que leurs homologues européens. Les travailleurs non-salariés à temps plein et comme à temps partiel travaillent plus que leurs homologues salariés et (respectivement 2 453 et 978 heures) et placent la France « dans la moyenne-haute européenne ».
2. Que valent donc ces conclusions hâtives si l'évaluation n'est pas globalisée ? Est-il méthodologiquement honnête de ne pas globaliser ces statistiques ni d'évaluer la durée effective de travail des Français quelque soit leur statut (temps complet, temps partiel, non-salariés, salariés) ? Si l'on se fit à l'OCDE, on constate que la durée annuelle de travail effective sur l'ensemble des travailleurs est de 1 647 heures pour le Royaume Uni, 1 554 heures pour la France, 1 390 pour l'Allemagne et 1 378 pour les Pays-Bas, soit l'inverse des résultats de COE Rexecode.
3. Le coup de grâce est sans doute venu d'Emmanuel Levy, jeudi dernier sur Marianne2: COE Rexecode se félicite d'avoir intégré les congés pour réévaluer les durées effectives des différents pays. Pour la France, ses calculs intègrent les congés payés et RTT, mais aussi les congés maladie ou maternité. Or, pour l'Allemagne, la totalité des congés comptabilisés sont inférieurs aux seuls congés payés légaux: « l’institut abouti a la conclusion qu’un salarié allemand est absent de son travail seulement 26 jours, soit 3 jours de moins que les jours officiellement chômés. Bref, non seulement le travailleur allemand redonnerait des jours à son employeur, mais il n’est jamais absent, jamais en formation, ni en congé maternité.  »... 
La durée du travail se serait effondrée en France seulement
Le second argument est également un grand classique de la gente sarkozyenne. Le Monarque lui-même, après une décennie de gouvernements de droite, ne cesse de fustiger l'anomalie française des 35 heures... D'après COE-Rexecode, la France aurait connu « la diminution de la durée effective de travail des salariés à temps plein la plus forte de l’Union Européenne » : - 270 heures entre 1999 et 2010.
Fichtre ! Quelle dégringolade !
Là aussi, l'institut s'est égaré. L'erreur était méthodologique et fut assez rapidement dénoncée: COE-Rexecode avait osé remonter dans le temps jusqu'en 1999 alors que l'INSEE avait changé de méthode de sondage en 2003, ce qui rendait impossible de telles comparaisons. Le blog Contes Publics explique: « elle est désormais effectuée en continu au lieu d'être faite en mars (qui n'est pas une période où les vacances sont importantes). » Et de citer l'un des responsables de l'INSEE: « Le passage à une enquête emploi en continu a été un changement majeur. Il permet à l'Insee et à la Dares [le service statisque du ministère du travail] de publier tous les ans depuis 2003 une durée annuelle effective du travail. Mais  la comparaison avec les enquêtes emploi antérieures à 2003 n'est pas possible ». D'après l'INSEE, la baisse de la durée effective de travail n'a été que de 5,2% en France, contre 6,1% en Allemagne.
Finalement, que retenir ? L'essentiel était ailleurs, incontestable mais introuvable dans le texte explicatif de COE-Rexecode: quelque 5 à 6 millions de Français cherchent à travailler davantage ou travailler tout court. Et la défiscalisation des heures supplémentaires joue à plein comme un obstacle à l'embauche, comme l'a encore montré la dernière publication de la DARES.
Pourquoi donc s'échiner à démontrer, statistiques partielles à l'appui, que les Français ne travaillent pas... assez ?