Anna Akhmatova
N’essaie pas de me faire peurNe me parle pas du destin qui te menaceNi de la tristesse sans fin de ce pays. Voici notre première fêteEt cette fête a nom rupture.Tant pis.Nous n’attendrons pas l’aube.La lune pour nous n’aura pas divagué. Je vais te donner aujourd’huiCe qu’on n’a jamais vu au monde:Mon reflet sur l’eau, vers le soir,Quand le ruisseau n’a pas sommeil;Un regard qui n’a pas aidéL’étoile filante à trouverLe chemin qui ramène au ciel;L’écho de cette voix sans forceQui était fraîche cet été... Pour que tu puisses supporter d’entendreDans les datchas les médisances des corbeaux.Pour que les jours du mois d’octobreTe soient plus doux que la douceur de mai.Mon ange, souviens-toi de moi.Au moins, tant que n’est pas tombéeLa première neige,souviens-toi.Anna Akhmatova, La course du temps - Requiem / Poèmes sans héros et autres poèmes (coll. Poésie/Gallimard, 2007)