Place aujourd'hui à l'un des plus ardents concepteurs du jazz "nouvelle génération" apparu au milieu des années 90 par l'entremise des musiques modernes telles que l'électro, l'ambiant ou la house (dit comme cela ça peut faire peur mais il n'en est rien). Plus qu'un simple concept, ces nouvelles sonorités placées sous la bannière de ce qu'il nommera "new conception of jazz" dépassent largement l'idée que certains se font de cette musique. Banni par les puristes mais reconnu par la critique internationale qui ne manquera pas de souligner l'intérêt de cette nouvelle voie, le norvégien Bugge Wesseltoft n'a que faire des préjugés. Ses disques paraissent depuis 15 ans sur son propre label (Jazzland), lui permettant ainsi de s'exprimer comme bon lui semble sans restriction. Autant le dire tout de suite, si vous êtes puriste il y a peu de chance que cela vous parle vraiment. Accros inséparables et acharnés du swing ou du be-bop, préparez vous au pire. Ici les idées s'expriment différemment et la démarche se veut plus "originale" (sans péjoration). Loin d'être enterrées, les traditions sont simplement recontextualisées, transfigurées par l'artiste via le prisme d'un nouveau champ lexical dans lequel la parole est très libre, et pas seulement écrite. C'est une musique que l'on doit ressentir avec les tripes et qui peut s'écouter avec soin.
Fluctuant constamment entre allégresse et tristesse, entre ciel et terre, "IM" n'est pas le plus "réjouissant" des disques que Bugge Wesseltoft ait écrit. Ce projet exprime en musique sa compassion envers les populations civiles victimes de la guerre ou de tout autre dérèglement anormal de leur condition d'être humain. Quelques notes de piano suffisent souvent à mettre en lumière son ressenti sur la situation hostile et précaire que vivent au quotidien ces gens. Anxiété, insécurité, souffrance médicale ou alimentaire, la liste est longue et le constat sévère. Le désarroi de Bugge Wesseltoft est tel qu'il lui semblait juste de s'impliquer et de s'appliquer à en parler avec ses mots d'observateur indigné (un terme à la mode), incapable d'apporter son soutien autrement qu'en musique. Excepté "Yoyk" sur lequel intervient Mary Boine au chant et à la batterie, Bugge Wesseltoft organise à lui seul la totalité de l'album. "WY" en fut certainement le détonateur. Un grésillement radiophonique et la voix de George W.Bush promettant la guerre aux terroristes, le bruit des militaires hurlant leurs ordres, les cris, la peur, et puis en ligne de mire, par dessus la tristesse d'une ligne de piano, la voix de Zawadi Mongane qui témoigne du drame qu'elle a vécu suite à sa capture par des rebelles rwandais fuyant leur pays après le génocide de 1994. Mal organisé, ce concept aurait pu facilement tomber dans la lourdeur ou le pathos. Heureusement, il n'en est rien. "IM" est un disque intimiste que chacun appréciera avec plus ou moins de détachement. L'atmosphère compationnelle des différentes compositions reste chargée de la pureté instrumentale qui le compose, comme une oeuvre humaniste atypique dont Bugge Wasseltoft garde le secret. Amazon iTunes