Ce livre raconte sans parole l’histoire de ceux qui ne l’ont jamais parce qu’ils sont exilés, déracinés, apatrides… Un père quitte femme et enfant pour chercher une vie meilleure, ailleurs, loin de la misère et de la terreur.
La puissance évocatrice de ce récit vient autant de son sujet, l’émigration, que de la façon dont il est traité. La finesse du dessin, les tons sépia, la précision des détails, le découpage cinématographique du récit… rendent l’ensemble particulièrement émouvant.
Le prodige de cet album est d’être intemporel : il ne raconte pas une histoire, il en raconte des millions ; il ne parle pas d’hier ni de demain, ni même d’aujourd’hui, il parle de toutes les époques, de tous les pays. Bien sûr, on pense à certains épisodes historiques (la Shoah, l’émigration vers l’Amérique…) et à des films (Metropolis, Chaplin…) mais le livre maîtrise toutes ces références pour mieux les dépasser en une fable qui fait également la part belle au fantastique et à l’onirisme.
Quitter son pays est toujours un arrachement douloureux, que l’on fuie les persécutions ou la misère, et une destination meilleure n’en reste pas moins un inconnu d’abord hostile et froid. Le message est à la fois profondément triste (il y a et il y aura toujours des émigrés, des exilés…) et profondément optimiste car l’espoir est toujours intrinsèque au départ, l’espoir de se reconstruire ailleurs, de recréer un espace familier, même loin de la terre de ses pères, de s’inventer une nouvelle vie qui pousse sur le terreau de ce que l’on est, mais avec ce que l’on découvre de neuf.
Par le langage universel des images, si fortes qu’elles se passent de mots, Shaun Tan s’adresse à tous. A vous de découvrir sa créativité époustouflante, fruit de son imagination autant sans doute que de ses recherches et qui lui permet de toucher à l’universel. Le propre de toute œuvre d’art, non ?