UNE RUSE
On sonna à la porte. Je m’éveillai.
Jean, mon domestique, parut.
Il tenait une lettre qui disait :
« Madame Pétrus
Prie avec instance
M. le docteur Romance
De passer chez elle immédiatement.»
Je réfléchis
Et répondis :
« Le docteur, fort souffrant,
Prie Mme Pétrus de vouloir bien
Appeler son confrère M. Damien.»
Je rendais le pli
À Jean et me rendormis.
Une heure plus tard,
Jean vint dare-dare
Me réveiller :
-« Il y a quelqu’un qui veut vous parler. »
-« Je descends
Dans un instant. »
C’était Mme Pétrus.
Elle avait l’air affolé :
-« Vite,…Docteur,...venez !
…Dans ma chambre, …mon amant vient de décéder…
…Mon mari va rentrer bientôt. J’ai si peur…
-« C’est vous qui êtes venue tout à l’heure ? »
-« Non,…c’est ma bonne…Elle est dans le secret…
Moi, j’étais demeurée…
Auprès de lui. »
Nous partîmes. Il était minuit.
À peine étions-nous arrivés
Que dans sa chambre je vis le corps
Étendu au beau milieu. Je l’examinais.
J’ai tâté ses mains, son cou, encore et encore :
-« Aidez-moi à le porter sur le lit.
Rhabillons-le.; c’est fini.
Mme Pétrus saisit la tête de son amant,
La regarda désespérément,
L’embrassa doucement
Et murmura : -« Adieu, chéri. »
À ce moment, La porte d’entrée s’ouvrit
Mme Pétrus et sa bonne tremblaient.
C’était le mari qui rentrait.
-« Apportez-moi des serviettes
Et une cuvette ! »
Et je l’ai appelé: -« Cher ami,
Nous avons eu un accident,…venez ici ! »
Lui, stupéfait, interrogea :
-« Qu’y a-t-il ? Qu’est-ce que cela ? »
-« J’étais resté à bavarder avec votre femme
En compagnie de notre voisin Pierre d’Haulame.
Voilà que soudain il s’est affaissé.
…Je commençais
À lui porter les premiers soins…
Aidez-moi donc à le descendre.
Vous le savez, il n’habite pas loin.
Je l’ausculterai mieux dans sa chambre ;
L’époux surpris, mais sans méfiance
Me prêta assistance.
On empoigna son rival désormais inoffensif.
Nous voilà dans la rue avec l’escogriffe.
Je le redressais, l’encourageais, lui causais.
(Il fallait aussi tromper le cocher) :
-« Allons, ce ne sera rien, mon ami.
Faites un petit effort et ce sera fini. »
On le bascula dans le coupé.
Je m’assis à son côté.
Et après m’avoir serré la main
Le mari inquiet me demandait :
-« C’est grave, pensez-vous ? »
-« Non, non ; à demain ! »
Elle, avait pris le bras de son époux.
Et moi, au cocher, j’ordonnais :
-« Chez d’Haulame ! »
En arrivant
Rue Madame
Au domicile de l’amant,
J’ai cru malin
D’annoncer :
-« Il a perdu connaissance en chemin ! »
Je constatai ensuite le décès.
Puis je rentrai me coucher,
Maudissant la vita dolce.
signé : Abel Anphan (pseudo !)
Le sage doit quitter la vie avec autant de décence qu’il se retire d’un festin.
Démophile