Tempête

Publié le 14 janvier 2012 par Feuilly

Le vent souffle en tempête, aujourd’hui.

Dans ta région aussi, sans doute. Je me dis que tu dois être chez toi, toute seule dans ta maison, à l’entrée du bois.

J’essaie d’imaginer, car ta maison, je ne l’ai jamais vue.

On s’est écrit longtemps, pendant des mois, t’en souviens-tu ? On parlait de ces vacances durant lesquelles on s’était rencontrés, quelque part le long de l’océan. Il y avait eu un orage et on s’était réfugiés dans un petit abri de pêcheur. La pluie tombait avec rage sur le toit de tôle et cela faisait un bruit infernal. Ce n’était pas facile de faire connaissance dans un tel contexte. Alors on se taisait et sans rien dire on regardait la pluie tomber. A la lueur d’un éclair, j’ai vu ton visage de profil et j’ai su tout de suite ce qui allait se passer. Je n’ai rien dit, j’ai attendu. A l’éclair suivant, j’ai senti que c’était toi qui m’observais.  Je n’ai rien dit encore. Comment parler avec tout ce bruit ? Et puis je ne suis pas du genre entreprenant  Une inconnue reste une inconnue. Mais voilà, tu n’étais déjà plus n’importe qui, je le savais.

A un moment donné, l’averse s’est un peu calmée. Bientôt nous pourrions partir, chacun de notre côté. Dommage ! Continuer à garder le silence devenait gênant. Nous étions deux, là, à trente centimètres l’un de l’autre dans cet espace exigu, et le silence relatif qui nous entourait désormais exigeait qu’un des deux parlât. Pourtant aucun son n’est sorti de ma bouche. Forcément ! Que dire, si ce n’était faire remarquer que la pluie se calmait, ce qui aurait aussitôt entraîné ton départ ? Je n’allais quand même pas te donner des arguments pour me quitter, déjà… Mais j’avais beau chercher, je ne trouvais rien d’original à exprimer. Aucune phrase sensée, aucun mot pour te faire rire, rien. J’étais paralysé.

Les secondes passaient et j’étais désespéré, redoutant le moment fatidique où tu allais sortir sous la pluie fine et te mettre à courir, sans même te retourner. Mais tu ne bougeais pas. Tu attendais.

A ce moment, un éclair suivi presqu’immédiatement d’un roulement de tonnerre fracassant  nous fit sursauter l’un et l’autre. Sans même réfléchir, nous nous sommes regardés et nous nous sommes souri. La pluie s’est mise à redoubler, accompagnée cette fois de grêle et d’un vent violent. « Je crois», dis-je, « que nous ne sommes pas près de sortir d’ici ». « J’en ai bien peur », as-tu répondu. « Ceci dit», ai-je poursuivi, « la situation n’est pas si catastrophique. Nous pourrions être sous l’averse, ce qui serait bien moins agréable. » « Vous voulez dire que vous trouvez ma compagnie agréable ? » « Non ! Enfin, si… Mais ce n’est pas ce que j’ai voulu dire ! Je voulais simplement faire remarquer qu’on est bien mieux ici, au sec, plutôt que sous l’averse. » Tu m’as regardé  d’un air un peu goguenard, un petit sourire imperceptible au coin des lèvres. Déjà tu avais tout deviné : mon trouble, mon malaise, mon désir de te parler, ainsi que mon impossibilité à le faire.

Puisque la conversation était engagée, nous avons continué. C’était encore moins gênant de converser, maintenant, que de laisser un nouveau silence s’installer. On a évoqué l’orage, forcément, et cet été pourri où il pleuvait presque tous les jours. Tu as parlé d’autres vacances, en Andalousie, où tu avais eu tellement chaud que tu ne supportais plus aucun vêtement. Ta phrase m’a mis mal à l’aise. Je ne savais pas si tu disais cela en toute innocence ou si au contraire c’était une allusion voilée à la nudité de ton corps. Du coup, je n’ai pas répondu et me suis enfermé dans mon silence. C’est toi qui a repris la parole en me demandant si je venais souvent en Bretagne. Là, je me suis tout de suite senti plus à l’aise. J’avais enfin un sujet de conversation. Alors j’ai expliqué que je préférais le Sud et j’ai raconté en long et en large mes séjours en Provence, dans les Pyrénées Orientales ou en Espagne. J’étais devenu intarissable. Tout en parlant, cependant, je me demandais comment j’allais ramener la conversation sur toi, car c’est surtout cela qui m’intéressait. Pourtant, à un certain moment, j’ai remarqué que mes anecdotes te faisaient rire et cela m’a fait plaisir. En réalité je ne le faisais pas exprès, mais visiblement mes petites aventures à Caceres ou à Cordoba te plaisaient. Alors je n’ai plus pensé à rien et j’ai continué à te raconter toutes mes péripéties estivales. En passant, en évoquant le musée du Prado ou la Galerie des offices de Florence, j’ai senti que tu n’étais pas n’importe qui, mais que tu étais une personne cultivée et qui s’y connaissait pas mal en peinture et en histoire de l’art. Plus que moi, à vrai dire.  Cela ne m’a pas déplu, forcément.

Quand j’ai parlé de Venise, j’ai remarqué que tu me fixais d’une façon étrange. Alors moi, comme un idiot, plutôt que d’amener doucement la conversation sur le romantisme de cette ville et de décrire les couples d’amoureux  qui s’enlaçaient un peu partout le long des canaux, voilà que je me mets à te décrire toutes les peintures religieuses de la ville. Puis je m’embarque dans une description très longue et très animée de la « Cène » du Tintoret que l’on peut voir dans l’église de San Giorgio Maggiore. Quel idiot je fais, quand même !

A un moment donné, j’ai remarqué que tu ne m’écoutais plus. Tu ne m’écoutais plus, mais tu me regardais, moi, en train de te parler. En réalité, tu ne me regardais pas non plus, mais tu me fixais littéralement. Alors je me suis tu et nos regards ont plongé l’un dans l’autre.  

« Je crois qu’il ne pleut plus depuis un petit moment » as-tu murmuré avec un sourire.  « C’est fort possible », ai-je concédé. « Dommage, finalement on était bien ici, non ? » « C’est vrai », as-tu répondu. « J’aimais bien vous écouter raconter tout cela. » Et en disant ces mots tu n’arrêtais toujours pas de me fixer. « Si vous voulez, on peut encore rester un peu, mais c’est que j’ai déjà beaucoup parlé… » « Il n’est pas toujours nécessaire de parler » as-tu fait remarquer. Alors je me suis approché de toi et c’est comme cela que tout est arrivé.

Plus tard, on s’est promené sur la plage. La nuit était tombée et la lune brillait sur la mer. Il faisait un peu froid après l’orage et tu t’es blottie contre moi. On s’est assis sur des rochers et on a regardé longtemps les vagues qui venaient mourir à nos pieds. Alors c’est toi qui t’est mise à parlé et qui m’a raconté ta vie.

A la fin des vacances, il a bien fallu se quitter, mais on s’est écrit pendant longtemps. Des mails de plusieurs pages presque chaque jour. Puis les messages sont devenus plus courts, ils se sont espacés et à la fin tu n’as plus écrit. J’ai encore continué pendant quelque temps à te parler de ce que j’éprouvais pour toi, mais tu n’as plus donné suite.

Voilà toute l’histoire.   

Le vent souffle en tempête, aujourd’hui.

Je pense à toi et à notre plage sous l’orage. Et je me dis qu’en ce moment tu dois être chez toi, dans la petite maison à l’entrée du bois dont tu m’avais souvent parlé. Peut-être regardes-tu, toi aussi, la pluie en train de tomber. Peut-être te souviens-tu. Ou peut-être pas.

Qui pourrait le dire ?

En attendant le vent souffle et emporte tout.