En janvier 2011 était créée par l’Assemblée nationale la « Mission d’information sur la compétitivité de l’économie française et le financement de la protection sociale ».
Deux écoles s’y sont affrontées. D’un côté, le secteur public, avec ses syndicalistes, ses députés et ses économistes, de l’autre les acteurs de l’économie, ceux dont dépend notre croissance. Extraits des débats et analyse par Alain Mathieu, président de l’association civique Contribuables Associés.
Au début de 2011, le président de l’Assemblée nationale a eu la bonne idée de constituer une Mission d’information sur la compétitivité des entreprises françaises. Celle-ci nomma deux co-rapporteurs prestigieux, le président socialiste de la Commission des finances, Jérôme Cahuzac, et le président UMP de la Commission des affaires sociales, Pierre Méhaignerie.
Après avoir entendu 70 personnalités, les deux co-rapporteurs n’ont pas pu s’entendre sur un texte commun, en particulier parce que les socialistes ne voulaient pas entériner «la TVA sociale», c’est-à-dire le transfert sur une augmentation de la TVA de certaines cotisations sociales patronales sur les salaires, transfert qui devrait permettre d’améliorer la compétitivité des entreprises françaises.
Il n’y a donc pas eu de rapport. Le compte-rendu des auditions n’en a pas moins été publié en novembre 2011. Des extraits de ce compte-rendu méritent d’être publiés.
Lors des auditions, deux écoles se sont affrontées : une pour laquelle le prix de vente, et donc le coût de production, est un facteur déterminant d’une vente, l’autre pour laquelle d’autres facteurs (réputation du producteur, services associés, politique industrielle du pays, etc) sont plus importants.
Se voulant exhaustive notre sélection présente l’essentiel des deux thèses, en commençant par la seconde. L’opinion de Contribuables Associés est donnée en conclusion.
Alain Mathieu, président de Contribuables Associés.
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Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière.
« La compétitivité est par définition une notion relative et multifactorielle : le coût du travail n’en constitue que l’un des éléments (…). On pointe, hélas, trop souvent le seul coût du travail lorsqu’on évalue la compétitivité d’un pays.
Cette approche de la compétitivité focalisée sur le coût du travail relève d’une idéologie néo-libérale, qui fait l’objet d’un rejet grandissant, comme j’ai pu le constater la semaine dernière au congrès de la Confédération européenne des syndicats.
Quels sont pour nous les facteurs déterminants de la compétitivité ? Tout d’abord, une place suffisante de l’industrie dans l’économie. Depuis 2000, notre pays souffre de désindustrialisation. La part de l’industrie dans la valeur ajoutée ne représente plus que 13 %, contre 17 % en moyenne dans l’Union européenne et 20 % en Allemagne. Notre pays est insuffisamment présent dans le secteur des biens d’équipement de haute technologie et notre tissu industriel ne compte pas assez de grosses PME, à la différence de l’Allemagne.
La stratégie industrielle de l’État est elle aussi insuffisante (…). Il faut, pour renforcer l’industrie dans notre pays, élaborer une stratégie industrielle, organiser les filières et la sous-traitance et lutter contre les délocalisations.
Un dernier mot sur l’idée d’une «TVA sociale», évoquée ça et là. Quelque nom qu’on lui donne, il s’agirait bien d’un nouvel impôt et je vois mal comment on pourrait, dans le contexte actuel, augmenter de façon significative le taux de la taxe sur la valeur ajoutée. »
Patrick Artus, économiste.
« Quelles que soient les compensations possibles entre le niveau des charges sociales et celui des salaires, la compétitivité-coût n’est pas le principal problème de la France. (…) Si les charges sociales sont plus lourdes en France, les salaires y sont également plus bas, ce qui revient au même en termes de coût du travail. (…). Il ne s’agit pas du principal facteur explicatif de l’évolution des parts de marché des différents pays ; le problème, c’est la compétitivité hors coûts – et c’est bien ce qui complique les choses. »
Marc Dolez, député socialiste.
« L’urgence est surtout de développer de nouveaux outils d’intervention, telle la création de fonds publics régionaux et d’un pôle financier public national prenant en charge tout ou partie des intérêts des crédits contractés par les entreprises pour financer leurs investissements, à proportion de leur efficacité sociale. Un pôle financier serait constitué autour de la Caisse des dépôts et consignations, avec les caisses d’épargne, les réseaux mutualistes, Oséo et la Banque postale.
Nous jugeons également indispensable une remise à plat de la fiscalité des entreprises, de façon à décourager la spéculation par des dispositifs de modulation de l’imposition des entreprises et des cotisations patronales en fonction de l’orientation des bénéfices réalisés, selon que l’entreprise privilégie le versement de dividendes ou bien l’emploi stable, les salaires, l’investissement et la formation. »
Henri Sterdyniak, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
« Il faudrait inciter les Allemands, les Autrichiens, les Néerlandais et les Scandinaves à relever leurs salaires et leurs revenus sociaux. »
Pierre-Alain Muet, député socialiste.
« Pendant longtemps, notre compétitivité coût a compensé en partie (par rapport à l’Allemagne) notre handicap en termes de compétitivité hors coût, c’est-à-dire les insuffisances structurelles de l’offre industrielle française. La disparition de l’avantage coût est donc une donnée majeure, même si le niveau absolu des coûts est aujourd’hui comparable. »
Elie Cohen, économiste.
« Dans la mesure où il n’y a pas eu de variation majeure en termes de compétitivité hors coût, c’est en matière de compétitivité-coût que nous avons « décroché » au cours des dix dernières années. (…) Un consensus à peu près général se dégage autour de l’idée que nous avons perdu de 8 à 10 points de compétitivité-coût par rapport à l’Allemagne. »
Jean-Philippe Cotis, directeur général de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE).
« La probabilité pour un exportateur français d’être en concurrence avec un exportateur allemand vendant le même produit sur le même marché est aujourd’hui proche de 75 %. »
Mathilde Lemoine, directeur des études économiques et de la stratégie marchés de la banque HSBC France.
« Entre 1995 et 2010, le solde commercial français s’est dégradé de 72 milliards d’euros et celui de l’Allemagne s’est amélioré de 110 milliards d’euros. Le secteur automobile a contribué à ces deux évolutions inverses pour, respectivement, 10 et 63 milliards, de sorte qu’il a contribué pour quelque 40 % à l’écart ainsi creusé entre les deux pays. »
Patrick Pelata, DG de Renault.
« En 2009 l’écart de coût entre un véhicule produit en France et un autre entièrement conçu et produit en Europe de l’Est était de 1 400 euros, dont 1 000 dus aux charges sociales et 400 aux salaires réels. Or, si nous savons compenser ces 400 euros par la logistique, nous ne savons pas comment compenser les 1 000 autres. Renault vend une Clio moins de 10 000 euros à son réseau. Or, 1 000 euros, c’est 10 % de cette valeur. La marge opérationnelle dans l’industrie automobile étant au mieux de 4 % à 5 %, l’écart représenté par le surcoût de 1 000 euros est celui entre un bénéfice confortable et un déficit dangereux.
C’est d’abord au problème des charges sociales que nous devons nous attaquer. »
Xavier Bertrand, ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé.
« Le coût du travail reste une question fondamentale, si nous voulons maintenir et créer des emplois. »
Luc Rousseau, directeur général de la compétitivité, de l’industrie et des services au ministère de l’économie, des finances et de l’industrie: Les prélèvements obligatoires sur les entreprises sont de 16 % du PIB en France contre 8 % en Allemagne
Jean-François Dehecq, vice-président de la Conférence nationale de l’industrie : Les facteurs pénalisants sont avant tout les prélèvements publics.
JP Clamadieu, président de l’entreprise chimique Rhodia : Dans presque tous les pays du monde, nous collaborons avec des équipes travaillant douze heures par jour, en France nous n’avons pas le droit de leur imposer huit heures de travail par jour. Le plus grand nombre de nos salariés souhaiteraient pourtant travailler sur la base de créneaux horaires plus longs. Dans nos métiers, les opérateurs postés accomplissent pour la plupart des tâches de surveillance et d’intervention ponctuelle, qui seraient donc compatibles avec des durées de travail plus longues, en sachant que des postes de douze heures plutôt que huit permettent de limiter le nombre de jours de travail dans l’année. Seul le code du travail nous interdit d’établir une telle organisation, pourtant souhaitée par nos partenaires sociaux et qui nous permettrait de simplifier notre organisation.
Lors de la crise de 2009, Rhodia a fait le choix de faire porter la flexibilité sur les travailleurs intérimaires pour conserver le plus possible ses travailleurs permanents, former un opérateur à un poste dans une usine requérant de plusieurs mois à un an et demi, voire deux dans nos métiers. Pour supprimer quelques dizaines de postes, nous avons dû, afin de respecter le code du travail, élaborer un plan social. De ce fait, entre le début de la procédure et la première mise en œuvre pratique, onze mois se sont écoulés. Ce délai est sans commune mesure avec ceux que nous constatons dans n’importe lequel des pays où nous opérons. La multiplicité des instances représentatives du personnel – comités d’entreprise, délégués du personnel, comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail – au niveau des sites comme de la direction de l’entreprise complexifie les procédures. Et, au bout du compte, chacun « joue la montre », dans un contexte où la sécurité juridique de l’entreprise reste fragile, car un juge pourra, à un moment donné, donner un coup d’arrêt, entraînant un retard supplémentaire, à un processus au motif que telle ou telle procédure de consultation ou d’information n’aura pas été conduite dans les règles.
Au contraire, dans certains pays comme l’Allemagne, il est possible en quelques mois de négocier un accord, même s’il peut se révéler coûteux, et de le mettre ensuite rapidement en œuvre entre partenaires de bonne foi.
Pour les systèmes de rémunération de type actions gratuites ou stock-options qui concernent nombre de nos cadres, en France comme à l’étranger, pas une année ne passe sans que la réglementation évolue et que nous soyons obligés de consacrer du temps à trouver les moyens de les pérenniserVincent Delozière, DG de Refresco (filiale d’un groupe hollandais fabricant des boissons sans alcool) :
Nous avons déposé un dossier au mois d’octobre 2009 en vue de créer une nouvelle ligne de production sur notre site de Saint-Alban-les-Eaux. Seize mois plus tard, nous n’avons toujours pas reçu l’autorisation !
Didier Sauvage (PDG de 3S Photonics, entreprise issue d’Alcatel, filiale du FSI) :
La relocalisation d’activités peut coûter très cher – 14 millions d’euros, pour un dossier actuellement à l’étude. Nous examinons avec le ministère de l’industrie ainsi que les régions le moyen de le financer, mais, depuis dix-huit mois et malgré la bonne volonté dont nos interlocuteurs font preuve, nous n’avançons guère en raison notamment de mécanismes administratifs complexes, y compris pour ceux qui sont chargés de les appliquer.
La vraie difficulté pour les petites et moyennes entreprises réside dans la complexité du cadre réglementaire. Je suis incapable de vous certifier aujourd’hui que, malgré tous nos efforts, nous respectons les réglementations en vigueur en matière de droit du travail et de sécurité.Pierre Méhaignerie :
Je soumets deux phrases à votre réflexion. La première a été prononcée par le président d’American Express s’adressant à des chefs d’entreprise américains : « Surtout n’allez pas en France, tout y est trop compliqué ». La seconde est due au président de Nestlé : « Je mets tellement de temps en France pour fermer une usine qui ne correspond plus aux besoins des consommateurs que je n’en ai plus pour en créer de nouvelles ».
Edmond Kassapian, président-directeur général de Geneviève Lethu (chaine de magasins) :
Si la suppression de la taxe professionnelle a engendré des gains, ceux-ci ont été compensés par beaucoup de « tracasseries » administratives : en 2007, une taxe sur l’horlogerie et les arts de la table ; en 2009, une taxe sur le linge, rétroactive jusqu’en 2007, et la modification du « forfait social » applicable aux cadres ; en 2010, des cotisations nouvelles par rapport aux conventions collectives ; en 2011, une baisse des réductions dites « Fillon » en raison de l’annualisation des calculs et la majoration de 25 % de la rémunération des heures supplémentaires pour les temps partiels.
Si vous voulez vraiment faire quelque chose pour nous, évitez-nous les « tracasseries » administratives !Jean-Bernard Bayard, secrétaire général adjoint de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) :
Depuis les accords germano-polonais de 1990, les exploitations allemandes bénéficient d’une réglementation spécifique qui leur permet de recourir à une main-d’œuvre à bas coût originaire des pays de l’Europe de l’Est – les Polonais représentent aujourd’hui 30 % de la main-d’œuvre agricole en Allemagne.(…). En dix ans, la production d’asperges a baissé de 43 % en France pendant qu’elle augmentait de 64 % en Allemagne. Dans le même temps, la production de fraises a diminué de 31 % en France mais progressé de 65 % en Allemagne.
Pierre Gattaz, président du directoire de Radiall, président du Groupe des fédérations industrielles :
S’il y avait une seule mesure à prendre, ce serait de transformer les 33 milliards d’euros de charges qui sont liés à la politique familiale en points de taxe sur la valeur ajoutée – quitte à exempter certains produits de première nécessité – ou de contribution sociale généralisée. Enfin, il me paraît impératif de simplifier et stabiliser la réglementation française – fiscale, sociale et environnementale
Michel Godet, titulaire de la chaire de prospective stratégique au Conservatoire national des arts et métiers :
La France se réjouit à juste titre de sa démographie vigoureuse par rapport à l’Allemagne, mais elle oublie que 25 % des naissances ont lieu dans des familles d’origine immigrée – dont 40 % en Île-de-France – et que ces populations ont peu accès à l’éducation, condition de l’intégration à la société. Or, le rapport du Conseil d’analyse économique dont j’ai été en charge La Famille : une affaire publique montre que le coût de l’échec scolaire est exorbitant pour la société. Un enfant placé dans une structure d’accueil coûte 30 000 euros par an à la collectivité, 180 000 euros dans un centre éducatif fermé (…) . Si on continue à mettre l’accent sur l’innovation technologique, nous persévérerons dans ce qui a fait notre réputation : des succès techniques qui sont autant d’échecs commerciaux (…). Notre grande différence avec l’Allemagne réside dans la dépense publique, qui est supérieure de dix points en France. Elle a augmenté dans les deux pays en raison de la crise, mais moins en Allemagne que chez nous. Ce sont surtout les charges qui pèsent sur le coût du travail.
Christian Blanc, député :
Depuis une dizaine d’années la France vit au-dessus de ses moyens. Pourtant, personne n’y a vraiment attaché d’importance. Le coût de fonctionnement de l’État est pourtant un sujet de préoccupation pour beaucoup. À l’époque du général de Gaulle, notre pays comptait entre 2 et 2,5 millions de fonctionnaires, et notre administration était vue comme la plus efficace au monde. Aujourd’hui, les effectifs ont doublé, et je n’entends plus exprimer un tel jugement.
Mathilde Lemoine :
Une étude vient d’être réalisée par des économistes du CEPR (Center for economic policy research), un centre de recherches anglais. La variable la plus significative serait le pourcentage de dépenses publiques dans le produit intérieur brut, lequel mesure la taille de l’État. Et la conclusion de l’étude est que plus l’État prend de la place, moins les entreprises se développent.
Conclusion
La différence de diagnostic sur la compétitivité des entreprises françaises est frappante.
D’un côté le secteur public, avec ses syndicalistes, ses députés et ses économistes, toutes personnes respectables mais qui n’ont jamais vendu un seul produit ou service à un client. Ils ignorent combien, à qualité égale ou voisine, le prix détermine la vente.
Leur conviction n’est pas indépendante de leurs intérêts : conserver leurs crédits et augmenter leurs pouvoirs. Ils minimisent donc l’importance des prélèvements publics et comptent sur la « politique industrielle » pour améliorer notre compétitivité.
De l’autre les acteurs de l’économie, ceux dont dépend notre croissance. Leur conclusion est claire : pour être aussi prospère que l’Allemagne, la France devra baisser ses dépenses publiques et les charges (financières et réglementaires) sur ses entreprises.
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