Le mystère du monde tient sans doute au phénomène de l’émergence. Les choses, en effet, s’ordonnent toujours dans le sens du simple vers le complexe, un complexe qui, s’il se nourrit du simple, le dépasse pour acquérir sa vie propre, sa méconnaissable autonomie.
Ainsi les éléments simplement chimiques donnent-ils lieu à l’émergence de la Vie qui ne leur ressemble guère ; ainsi la Vie donne-t-elle lieu ‘par « accident » ?) au phénomène de la conscience explicative (apanage de l’Homme), qui semble si peu avoir en commun avec elle que l’on a effectué un distinguo entre le corps et l’ « âme ».
L’émergence, c’est le surgissement de l’inédit et du complexe.
C’est en se complexifiant que la Nature crée de nouveaux plans de réel.
Et nous, nous avons du mal à saisir ce qui relie ces plans.
La Nature est susceptible d’exploiter toute la gamme des possibles. Mais cette gamme, quelle est-elle ? Jusqu’où va-t-elle ? Nous l’ignorons. Les hasards et minuscules, indiscernables « effets-papillons » nous interdisent de faire tomber les voiles qui s’interposent entre nous et toute possibilité de « prédiction ».
Créative parce qu’imprévisible ; imprévisible parce que créative. Telle est la force qui anime l’Univers et le pare de tant de paradoxes….On avait bien raison de dire que les voies de Dieu étaient « impénétrables ».
Le maître-mot semble bien être « évasion ».
Le Vivant se démarque de l’inanimé et contre l’entropie.
La pensée, l’imagination tendent à se démarquer de la matière.
Chaque phénomène émergent parait revendiquer sa vie propre, voire tend à se retourner contre ce qui à contribué à son émergence…
Pourquoi ne prenons-nous jamais conscience du degré d’embourbement de notre cerveau dans ses automatismes cognitifs ?
Le commencement de toute liberté, de toute forme de libération ne réside-t-il pas dans cette prise de conscience ?
Il ne manque pas de gens qui, alors même qu’ils professent à corps et à cri l’ouverture d’esprit et le goût pour la mixité socio-ethnique, passent en fait leur vie à se cantonner dans la tour d’ivoire d’un « milieu », voire d’un microcosme où ils côtoient sans cesse, somme toute assez frileusement, les mêmes personnes ?
Alors ? Pose ? Ecart entre ce qu’on est et ce que l’on souhaiterait être ? Caractère finalement viscéral du désir de « se protéger » de ce qui ne vous ressemble guère ? Propension à se laisser enfermer dans la prison des « affinités », des conforts et des habitudes ?...Côté profondément « automatique » et conservateur du cerveau humain ?
P. Laranco