Le Masurier, Le nègre pie (Madeleine de la Martinique et sa mère), 1782, huile sur toile, coll. Muséum d'Histoire Naturelle, Paris
Exhibitions, au Quai Branly jusqu’au 3 juin, est une exposition sur la représentation de l’Autre, du sauvage depuis au moins la découverte de l’Amérique (mais même depuis l’Antiquité et ses Barbares), mais qui surtout montre comment cet Autre est devenu objet de représentation, de monstration, d’exhibition : cirques, villages ethniques, zoos humains, expositions coloniales. Je laisse à d’autres le soin d’en faire une recension complète et voudrais simplement m’attarder sur quelques images.
D’abord, celles ayant trait au redoublement de l’étrangeté : non seulement des sauvages, mais, plutôt que de nobles sauvages (comme ce Polynésien, Omai, reçu à la cour de Londres et peint dans un tableau de William Parry
Léon de Wailly, La négresse hottentote vue de face, 1A815, dessin aquarellé, coll. Muséum d'Histoire Naturelle, Paris
Migneret, Planche comparative des espèces, 1824, gravure, coll. Musée du Quay Branly
en 1776), des sauvages anormaux, difformes à nos yeux. Ainsi, dans cette toile de Le Masurier (1782) cet enfant martiniquais dépigmenté, dit ‘nègre pie’ (comme la robe des chevaux), objet de curiosité. Ou bien, exemple fort connue, la Vénus hottentote, ici dessinée par Léon de Wailly (1815).
Ensuite, les images servant de support à la classification des races, démontrant la supériorité indéniable, naturelle de l’homme blanc : par exemple cette planche comparative des espèces (Blanc, Négre, singe) de Migneret (1824, dans le livre ‘Histoire Naturelle du Genre Humain’).
William T. Maud, Un coup d'oeil aux Indigènes (L'Afrique du Sud sauvage à Earl's Court), 1899
Enfin, deux exemples du regard du Blanc sur le Sauvage : voici un dessin de William T. Maid (1899), Un coup d’oeil aux indigènes (l’Afrique du Sud sauvage à Earl’s Court) où les petits enfants blancs sont soigneusement tenus et protégés par leurs parents, face aux vilaines têtes noires des Caffres au fond du trou de leur tente ou caverne. Et, pour ajouter une dimension chrétienne et charitable, cette publicité pour le Chocolat des Gourmets : voici comment se tenir face aux sauvages, rester humain et généreux (mais pas trop), les civiliser, leur offrir du chocolat, et ainsi sauver notre âme.
Plus tragique est le débat autour du retour des corps dans leur pays d’origine : têtes maori, restes de Saartje Baartman, crânes d’Hereros ou nègre empaillé du musée Darder (lien fort instructif sur les obstructions des conservateurs à
Jules Chéret (Imprimerie Chaix), Indiens Galibis, Jardin d'Acclimatation de Paris, 1882, affiche, coll. part., Groupe de Recherche Achac, Paris
ces restitutions).
En 1882, puis en 1892 des Indiens kali’nas ou Galibis venant de Guyane Française furent exhibés au Jardin d’Acclimatation Porte Maillot (affiche de Jules Chéret, 1882) ; ceux qui moururent furent enterrés sur place et leurs restes sont toujours là, sous le petit train où jouent nos enfants, sous le défunt Musée des Arts et Traditions Populaires que nous avons visité, sous le futur centre d’art LVMH Bernard Arnault que nous visiterons. Y resteront-ils ? Nous hantent-ils ? Ou plutôt, avons-nous honte ? Un des moments les plus émouvants de l’exposition est l’écoute des récits faits par leurs descendants à l’anthropologue Gérard Collomb au début des années 1990 : la mémoire de l’humiliation alors subie s’est transmise oralement pendant un siècle. Ecoutez-les attentivement.