Il faut montrer le visage liberticide du super État qui est en train de s’imposer. Il faut encore montrer que le contenu, le caractère et la qualité du droit doivent être définis en fonction de l’activité humaine et non comme le produit d’une volonté politique.
Par Carlo Lottieri
Article publié en collaboration avec l’Institut Coppet
Au sein d’une Europe élargie, on perçoit de plus en plus l’exigence d’un droit commun, d’un ordre juridique qui permette d’améliorer les rapports, d’élargir les horizons et d’exploiter toutes les opportunités d’échanges commerciaux entre pays membres. Or, dans les démocraties européennes, le droit n’est aujourd’hui que l’ensemble des règles valides imposées par les organismes autorisés selon les procédures légales. En d’autres termes, le droit est essentiellement le résultat des décisions parlementaires. Pour cette raison, et parce que l’intégration induit la fusion des structures étatiques (les conditions de la participation à la nouvelle Europe prévues par le traité de Maastricht ne concernent pas les sociétés mais seulement les États, leurs dettes, leurs déficits…), le droit européen, tel qu’il émerge, semble devoir s’inscrire dans la tradition du positivisme juridique et reproduire son formalisme, sa vocation à légitimer tous les arbitraires des hommes au pouvoir, son incapacité à défendre la liberté individuelle.
Or, dans une Europe élargie à des pays beaucoup plus pauvres, le risque encouru est que la société politique renonce à être un mécanisme d’harmonisation pour devenir un instrument de spoliation, multipliant les rentes. Tout comme au XXème siècle la croissance de l’État Providence a été largement liée aux initiatives des groupes de pression, au XXIème siècle la classe politique européenne pourrait trouver d’importantes opportunités pour faire progresser la redistribution des ressources. Dans cette perspective, la dynamique institutionnelle liée à l’entrée des pays de l’Est serait loin de pouvoir assurer un futur plus libéral à l’Europe.
La tradition juridique européenne
L’alternative au modèle juridique étatique réside dans la tradition du droit naturel commun. Les règles juridiques y trouvent leurs origines dans les choix et les décisions des individus. Il ne faut pas oublier que le droit est une activité humaine qui répond à la même logique que les autres activités humaines : elle a des coûts ; elle distribue des profits ; elle satisfait le consommateur et tire d’énormes avantages de la concurrence et de l’esprit entrepreneurial.
De plus, le droit est toujours inséré dans une société en mouvement et, pour cette raison, il est appelé à évoluer en donnant une réponse aux problèmes du présent. Dans un ordre mondial où les rapports se multiplient et où de nouvelles réalités économiques émergent, la solution ne peut venir d’un processus d’unification politique européenne, mais plutôt de la renaissance de la « lex mercatoria », largement marquée par la culture juridique américaine et anglaise. C’est un ordre légal sans législateur basé sur la coutume, la jurisprudence et surtout sur les ententes contractuelles. Chaque décision ne concerne directement que ceux qui sont affectés par la solution donnée par un juge ou un arbitre, ce qui lui confère un caractère beaucoup plus stable. Le droit commercial globalisé se situe justement dans cette tradition que le positivisme juridique aurait voulu consigner au passé et qui en réalité continue à se développer sous des formes toujours nouvelles.
Ainsi, le fonctionnement de cette « lex mercatoria » repose largement sur l’arbitrage (processus privé qui fait intervenir la décision du juge en dernière instance) et la médiation (dont le but est de rechercher les accords et ententes qui font prévaloir la coopération sur le conflit, la raison sur l’irrationalité).
Le droit international privé est aussi marqué par le développement et le succès d’entreprises juridiques transnationales. Apparues sur le marché en réponse aux exigences des consommateurs et en suivant une intuition entrepreneuriale, ces entreprises mondialisées sont en train de changer la dimension spatiale du droit. Elles font émerger des règles qui ne résultent pas de la volonté de quelques États mais du choix d’un petit groupe d’entreprises légales qui organisent des contrats et élaborent de nouveaux arrangements. Dans cette production de règles, le rôle fondamental est joué par le droit de propriété qui reste la base de tout genre d’arrangements entre les parties et qui connaît une croissante sophistication grâce aux innombrables formes de contrats élaborées par les juristes.
L’émergence de ces règles ne résulte donc pas de monopoles nationaux fermés et territoriaux, mais d’un oligopole ouvert international et contestable, où chaque entreprise sauvegarde sa propre position sur le marché seulement si elle sait satisfaire ses clients en donnant des solutions juridiques capables d’aider le développement des relations économiques et commerciales.
Deux conceptions opposées du droit et de la société
À l’heure où l’on assiste à l’émergence de nouvelles réalités comme la Chine, l’Inde, le Brésil… où les rapports se multiplient à l’échelle de la planète, le projet des politiciens et de la bureaucratie Bruxelloise inspirée des modèles juridiques positivistes, normativistes et territoriaux, exprime très clairement cette volonté de perpétuer un ordre légal absorbé par un Super État à l’échelle européenne. Cette logique d’État est étayée par une constellation de principes pseudo religieux. L’Union européenne se veut laïque et humanitaire et nous dit que le projet de cartellisation politique qu’elle exprime vise à sauvegarder le vieux continent des guerres, à multiplier les droits et éliminer les risques, effacer les inégalités …
Il serait donc important de s’insérer dans le débat sur l’Europe et le processus d’intégration politique afin de confronter cette conception à la logique libérale. Il faut en effet montrer le visage liberticide du super État qui est en train de s’imposer. Il faut encore montrer que le contenu, le caractère et la qualité du droit doivent être définis en fonction de l’activité humaine et non comme le produit d’une volonté politique, marquée par une volonté de puissance très destructrice contre laquelle les hommes libres doivent lutter pour défendre le droit et son rôle essentiel dans la civilisation humaine.
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