Roger Bongos vs Patrick Mbeko (c) RM Communication
Par Patrick Mbeko
Je tiens à préciser que je ne suis pas membre de l’Apareco et les problèmes qui existeraient entre Radio Bendele (et/ou l’Apareco) et Monsieur Roger Bongos ne me concernent aucunement. En revanche, j’ai tenu à réagir par soucis de vérité car j’estime qu’il est essentiel que les Congolais comprennent réellement certains pans de l’histoire de leur pays. Je n’ai pas, dans ce petit papier, la prétention de tout savoir mais néanmoins, dans un dossier aussi sensible que celui de la RD Congo, le public est en droit d’être informé avec la plus grande rigueur.
Dans son article intitulé « Honoré Ngbanda, Tartuffe et manipulateur ! », M. Roger Bongos écrit : « En 1994, le conseil de sécurité demande à la RDC d’accueillir les 2,3 millions de Rwandais. Mobutu dit niet de peur que la situation démographique et sociologique fasse basculer le Congo dans un déséquilibre grave. GBANDA part aux états Unis, il reviendra avec un accord de gestion de réfugiés pendant 3 ans avec une enveloppe de 1 milliard de $ américain par an. »
Je ne sais pas si le Conseil de sécurité a explicitement demandé au Zaïre de recevoir les réfugiés hutus mais une chose est certaine : tout pays signataire de la convention de Genève a l’obligation de recevoir des personne en danger et en assurer la sécurité. Cela exige-t-il une demande spéciale du Conseil de sécurité? Comment Mobutu pouvait refuser d’accueillir des millions d’individus en danger de mort sachant très bien que le Zaïre a ratifié les quatre conventions de Genève le 24 Février 1961? Les réfugiés hutus sont-ils les premiers réfugiés à traverser la frontière zaïroise? En réalité, c’est la problématique des réfugiés qui remettra un « Mobutu isolé » par la « communauté internationale » sur la scène internationale. En plus, le Zaïre ne fut d’ailleurs pas le seul pays à accueillir les réfugiés hutus durant la guerre qui opposa l’Armée patriotique rwandaise (APR) de Paul Kagame aux Forces armées rwandaises (FAR). La Tanzanie par exemple a accueilli des milliers de hutus en fuite. Et contrairement à ce que racontent certains pseudo-spécialistes et livres d’histoire, ni les milices, ni l’armée rwandaise, ni même les membres du GIR (gouvernement intérimaire) n’ont eu besoin de l’Opération Turquoise pour se réfugier au Zaïre. Elles se sont repliées plus ou moins en bon ordre un peu partout, même là où les Français n’étaient pas présents. Dès le 22 avril 1994, soit deux mois avant l’opération militaro-humanitaire française, plusieurs centaines de milliers de personnes qui fuyaient l’avancée fulgurante de l’APR dans l’Est du Rwanda avaient ainsi franchi en quelques heures la frontière tanzanienne et s’étaient réfugiées dans la région de Benako où furent créés d’immenses camps de réfugiés. Il en va de même lors des exodes sur Goma et Bukavu, en juillet et août 1994, où les réfugiés y mourront par milliers des suites du choléra. Il n’est sans doute pas sans intérêt de préciser ici que le gros de l’armée rwandaise s’est directement replié au Zaïre vers la mi-juillet sans passer par la zone contrôlée par les français. Une note de la direction des Affaires africaines et malgaches faisant le point de la situation au 19 juillet 1994 indique « qu’une grande partie des forces armées gouvernementales (10.000 sur 30.000) est passée au Zaïre avec son armement.»
Quant à la question liée à la gestion des réfugiés, à moins que je ne me trompe, cela relevait du Haut commissariat pour les réfugiés (HCR) dirigé à l’époque par Sadako Ogata, proche du président Bill Clinton. Il faut dire que cette organisation onusienne qui roulait déjà pour les USA et par extension pour le FPR depuis la guerre du Rwanda, a empêché les autorités zaïroises d’avoir libre accès aux camps de réfugiés sous son contrôle. Cette situation rendait difficile l’identification et le désarmement des miliciens hutus par les autorités zaïroises; ce qui donnait bien entendu du plomb aux arguments de Kigali qui s’apprêtait à envahir le Zaïre au prétexte d’assurer sa sécurité.
M. Bongos affirme aussi que Monsieur Ngbanda s’est rendu à l’époque aux USA et « il reviendra avec un accord de gestion de réfugiés pendant 3 ans avec une enveloppe de 1 milliard de $ américain par an. » Comment est-ce possible (?) quand on sait que c’est en octobre 1994, à l’initiative du gouvernement zaïrois, qu’un accord tripartite, Zaïre-Rwanda-HCR, fut signé à Kinshasa pour le rapatriement des réfugiés rwandais dans leur pays? Après que Kagame eût torpillé cet accord, le Zaïre convoqua une nouvelle réunion le 25 septembre 1995 et un autre accord fut signé entre le Zaïre, le Rwanda et le HCR pour activer l’exécution du programme de rapatriement des réfugiés hutus, cette fois, avec des mesures incitatives nécessaires. Mais Kagame a toujours habilement saboté tous les accords signés.
Fait révélateur des intentions inavouées de Paul Kagame : lors du sommet des chefs d’États membres de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) qui s’est tenu à Yaoundé du 8 au 10 juillet 1996, le Rwanda fut le seul pays qui refusa de signer un pacte de non-agression entre les pays d’Afrique centrale.
Quant à l’enveloppe d’un milliard de dollar que les Américains auraient remise à M. Ngbanda, une question me vient rapidement à l’esprit : Pourquoi les Américains auraient-ils remis une enveloppe d’un milliard $ à M. Ngbanda (à l’époque Conseiller spécial en matière de sécurité du président Mobutu) alors que tout ce qui concernait les réfugiés était géré par le HCR? Ont-ils voulu court-circuiter le HCR qui roulait pourtant pour eux??? Pour quelles raisons auraient-ils remis ce gros montant à M. Ngbanda? Et à quel titre? M. Bongos pourrait nous aider à voir clair dans cette histoire en nous donnant des sources officielles qui confirment son affirmation.
M. Bongo déclare d’autre part : « Qui a laissé 18 ans dans son cabinet Bisengima en livrant les secrets du Congo aux Rwandais n’est ce pas vous et votre Président ? Qui a mis MIKO patron du CELTEL, communication de la RDC dans la main d’un Rwandais n’est ce pas vous Gbanda ? Qui était le chef de la sureté nationale, n’est ce pas GBANDA ?
Encore là, M. Bongos se trompe. Quand Bisengimana est arrivé au cabinet présidentiel, M. Ngbanda n’était pas encore le chef des renseignements zaïrois. Les responsables des services étaient Seti Yale et Mokolo Wa Mpombo. De plus, contrairement à ce qui se dit souvent, le Zaïre de Mobutu n’était pas le seul pays où les tutsis rwandais occupaient d’importantes fonctions. Dans presque tous les pays de la région, les tutsis occupaient des postes importants − peut-être pas comme Bisengimana Rwema mais ces fonctions leur permirent d’avoir accès à d’importantes informations sur le pays d’accueil et de s’organiser pour reconquérir le Rwanda − notons que le Rwanda fut pendant longtemps une monarchie essentiellement dominée par les tutsis jusqu’à la révolution sociale de 1959 qui emmena les hutus au pouvoir. Dans son livre, la militante pro-tutsi de la première heure Colette Braeckman écrit : « Des tutsis de la diaspora affluent en Ouganda et se lancent dans les affaires. Une communauté tutsie se développe alors à Kampala, qui a des ramifications au Kivu, à Kinshasa, en Tanzanie, qui fait des affaires dans toute la sous-région, et entretient également des liens avec la diaspora plus lointaine, établie en Europe et en Amérique du nord. » Dans une entrevue avec le journaliste François Misser, Kagame confirme lui-même que le FPR n’était pas seulement composé des réfugiés tutsis d’Ouganda, il y avait aussi ceux venus des pays voisins tels que le Burundi, le Zaïre, la Tanzanie et même d’Europe tel que Tito Rutaremara, un des grands idéologues du FPR aujourd’hui en exil.
S’il est vrai que Mobutu a été imprudent en nommant Bisengimana Rwema au cabinet présidentiel, il est en revanche faux de prétendre que les autres officiels zairois n’ont rien fait pour remédier à la situation. En effet, Mokolo Wa Mpombo et Seti Yale tirèrent la sonnette d’alarme pour signaler le danger que représentait la présence de cet homme au sommet de la plus haute institution de la République. Devant la passivité du Président Mobutu, les deux responsables des services spéciaux vont multiplier des enquêtes et rapports pour sensibiliser Mobutu au danger rwandais (tutsi). Les services de renseignements zaïrois ont organisé des recherches au Rwanda, au Burundi, en Tanzanie, au Kivu et au Katanga, pour circonscrire tout le réseau rwandais. Ils en ont démontré l’ampleur et la menace qu’il représentait pour la stabilité du pays dans un avenir relativement proche. Un travail colossal réalisé sur plusieurs années. C’est seulement après avoir pris connaissance des preuves rassemblées par les services secrets zaïrois que Mobutu se sépara de M. Bisengimana.
Il est important de rapporter fidèlement les faits pour ne pas embrouiller certains de nos compatriotes sur la vraie histoire de notre pays. Si M. Bongos dispose des informations qui contredisent ce que je viens d’expliquer et qui peuvent aider à faire évoluer l’état des connaissances sur l’histoire de notre pays, qu’il les mette à la disposition de nous tous.
Merci.