La Table des partenaires compte huit membres du monde des affaires :- Yvon Charest, président et chef de la direction d'Industrielle Alliance- Jacynthe Côté, chef de la direction de Rio Tinto Alcan- Paule Gauthier, avocate chez Stein Monast- Serge Godin, président-directeur général de CGI- Isabelle Hudon, présidente de la Financière Sun Life pour le Québec- Hubert T. Lacroix, président-directeur général de Radio-Canada- Monique Leroux, présidente du Mouvement Desjardins- Brian Levitt, avocat-conseil chez OslerUne si prestigieuse équipe pour travailler sur une problématique qui relève plus du luxe que d’une nécessité prioritaire dans la situation économique actuelle du Québec. Pourquoi ne concentrer les efforts sur le processus d’équité salariale en cours dans les entreprises pour garantir que les femmes aient le même salaire que les hommes pour un même type de travail ? Voilà une réelle problématique d’iniquité à corriger.
Au Québec, 14 % des membres des C.A. des 50 grandes entreprises cotées en bourse étaient des femmes en 2007, selon le Canadian Spencer Stuart Board Index 2009. La situation est semblable au Canada.
Pourquoi veut-on limiter l’analyse de la situation des femmes dans le monde des affaires aux 50 plus grandes entreprises du Québec et aux 500 plus grandes entreprises canadiennes alors que le Canada et surtout le Québec est une nation de PME et d’entreprises familiales? Posons-nous la bonne question. Quelles sont les causes de la sous-représentation des femmes dans les CA et les directions des grandes entreprises ? Est-ce une question de discrimination systémique ou plutôt un désintérêt des femmes pour ce genre de milieu de pouvoir stressant et éreintant? Mon expérience me pousse à pencher vers la deuxième option. A ma connaissance, le Canada est une société égalitaire qui donne les mêmes chances de réussite aux hommes comme aux femmes. Il existe aussi des domaines où les hommes sont sous-représentés sans que cela ne suffoque personne. Force est de constater que les femmes sont encore moins carriéristes et moins « ambitieuses » que les hommes et ce n’est pas nécessairement parce qu’on leur ferme la porte des réseaux qui mènent au sommet des plus grandes entreprises. J’ai beaucoup de collègues femmes qui ne sont tout simplement pas intéressées par les hautes fonctions même quand elles sont talentueuses et compétentes, elles préfèrent se réaliser dans d’autres milieux.
Le monde des affaires ne se limite pas aux 50 plus grandes entreprises et à l’image « cool et sexy » qui y est rattachée. Si on regarde au-delà de cette planète de gros bonnets, la réalité est que depuis 2 décennies, le nombre de femmes chefs d’entreprises a cru plus vite que celui des hommes. Selon une étude du gouvernement canadien en 1999, « Au cours des 25 dernières années, l’entrepreneuriat féminin a connu au Canada une croissance rapide. En réalité, le taux de création de nouvelles entreprises par des femmes est actuellement deux fois plus élevé que celui des entreprises créées par des hommes, et ce rythme est sans précédent. Le nombre de femmes ayant une entreprise constituée en société a plus que doublé pendant la dernière décennie. Les femmes dirigent désormais environ 35% des PME au Canada ». Je travaille en démarrage d’entreprises et cette situation est encore plus palpable et réelle en 2011.
Pour moi, l’imposition des quotas n’est pas une solution car on ne parle pas ici d’une situation de discrimination systémique envers les femmes. Imposer des quotas va juste pousser des grandes entreprises à se trouver des « femmes de service » sur leur C.A et permettre à une minorité femmes ambitieuses mais pas forcement compétentes de se faufiler à travers les mailles. C’est clair que le bassin des femmes intéressées à ce genre de postes de pouvoir n’est pas suffisamment important pour atteindre une parité. En réalité, les femmes compétentes qui ont l’ambition de se trouver dans les hautes directions savent comment s’y prendre et le font bien. En général, les grandes entreprises n’opposent aucune barrière particulière à des femmes compétentes et expérimentées. Les quotas seraient une insulte à l’intelligence de ces femmes qui n’ont pas besoin de quémander des postes d’administrateurs et de direction.
L’expérience norvégienne souvent trop magnifiéeLe cas norvégien a démontré que la façon la plus efficace d’accélérer l’augmentation de la présence des femmes au sein des C.A des grandes entreprises est d’imposer un quota par le biais d’une loi. Mais la situation norvégienne n’est pas parfaite non plus. Et aucune étude n’a réussi à démontrer jusqu’à date que ce choix de légaliser a révolutionné la situation économique de la Norvège, pays féministe par excellence. Les premières évaluations sont plutôt mitigées avec quelques points positifs et des inconvénients.Selon une étude réalisée par 2 norvégiennes Aagoth Storvik et Mari Teigen en décembre 2010, l’ensemble du processus, depuis les premières discussions jusqu’à l’application complète de la loi, a duré dix ans.
Même si, en 2009, 40% des membres des conseils d’administration étaient des femmes, les progrès ne sont pas aussi significatifs dans d’autres domaines : la majorité des présidences de conseil reste aux mains des hommes, et seuls 2% des directeurs des entreprises cotées en bourse à Oslo sont des femmes. Cela signifie que les femmes sont rentrées massivement comme administratrices dans les grandes entreprises à coup de programmes de formation sur programmes de formation, mais elles n’ont pas nécessairement les compétences suffisantes pour occuper les postes de direction et de gestion d’entreprise qui me semblent plus intéressants que le rôle d’administrateur. Sinon, vu que ce sont les C.A qui choisissent les directions et que les femmes soient fortement présentes dans ces conseils, on aurait pu s’attendre à une augmentation des femmes dans les postes de direction. Ce qui n’est pas le cas.
Selon les recherches menées par le recruteur Egon Zehner qui confirme la conclusion ci-dessus, « la Norvège, État pionnier en matière de discrimination positive pour les femmes depuis l’instauration d’un quota minimum de 40 % en 2003, n’a enregistré aucune augmentation du nombre de femmes pour les postes de direction à haute responsabilité. Cette loi aurait même dissuadé certaines femmes de se tourner vers de tels postes, les reléguant parfois vers des postes inférieurs ».
Quelques conclusions d’autres études.
- Des recherches ont montré que la présence de femmes au sein des conseils d’administration produit généralement quelques effets. Nielsen et Huse (2010) concluent de leurs travaux que les entreprises norvégiennes qui comptent le plus de femmes dans leur conseil d’administration s’en sortent mieux en termes de contrôle stratégique.
- Tandis que les nouvelles administratrices ont un bagage universitaire supérieur à celui des hommes, il semble qu’elles manquent de qualifications professionnelles.
- Parmi les administrateurs qui siègent dans quatre conseils d’administration ou plus, on trouve davantage de femmes. Selon cette étude, cela concerne 4% des administratrices, contre seulement 1% des administrateurs. Il semble que cette loi a engendré une nouvelle race d’administratrices « professionnelles ». La raison est simple, malgré tous les efforts, le bassin de femmes intéressées et formées pour occuper ce genre de poste finit par s’amenuiser et les femmes les plus compétentes sont rendues à courir de C.A en C.A.
Bref, l’imposition des quotas a ses limites et peuvent engendrer des dommages collatéraux insoupçonnés
Heureusement, pour le moment, la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, Christine St-Pierre, a exclu temporairement l'adoption d'une loi qui contraindrait les entreprises à nommer un nombre minimal de femmes dans leurs conseils. Ce peut s’avérer une erreur monumentale.