Le rappeur Mouad L7a9ed libre, mais jugé coupable

Publié le 12 janvier 2012 par Lcassetta

Après des mois de mobilisation, le rappeur marocain Mouad L7a9ed se retrouve libéré. Condamné à 4 mois de prison qu’il a déjà purgé, il a mis les pieds hors de la prison en ce début d’après-midi. Retour sur cette condamnation qui a fait couler tant d’encre et qui reste jugée d’arbitraire par plus d’un, vu les circonstances floues de son arrestation.

Malgré le fait que l’histoire L7a9ed ait été au centre des réseaux sociaux et de la blogosphère marocaine engagée depuis quelques mois, nous vous fournissons un récapitulatif de cette histoire pour ceux qui l’auraient ratée.

Qui est L7a9ed ?

Moad Belghouat, dit Haked, est un jeune casablancais originaire du quartier populaire d’Oukacha. Depuis 2004, Moad pratique le rap engagé et diffuse sa musique à travers des CDs et sur Youtube. Il est par ailleurs membre actif du 20 février et est considéré comme la «voix du 20 février». Sa popularité est de plus en plus importante, au point que la chaîne ARTE lui a consacré un reportage. Moad a été arrêté le 9 septembre dernier à Casablanca. Il fait l’objet d’une plainte déposée par un membre de l’alliance des forces royalistes accusant Moad de l’avoir agressé.

Qu’est ce qui a conduit à son arrestation ?

Depuis des mois, Moad est la cible d’injures et d’intimidation de la part des membres du mouvement du 9 mars qu’on appelle couramment l’alliance «royaliste». Un membre de cette alliance connu sous le nom de Taliani n’a cessé d’intimider Moad pour qu’il arrête de diffuser ses chansons au point qu’un ami de Moad déclare à son sujet : « Ce dernier est venu à plusieurs reprises au quartier de Haked insulter publiquement le mouvement contestataire et, en particulier, le jeune rappeur. Cela devenait insupportable ».

Le 9 septembre 2011, Taliani vient encore une fois pour intimider Moad dans son quartier d’Oukacha. Une légère altercation a lieu selon 15 témoins présents qui ont été contactés par l’association Capdema sans pour autant qu’une bagarre n’éclate. Juste après l’altercation, une estafette de police rencontre Moad et lui demande de porter plainte contre Taliani. Le soir même, la police l’informe qu’il est activement recherché pour coups et blessures ayant conduit Taliani au Coma avec un certificat médical de 40 jours à l’appui.

Pourquoi tout laisse croire que cette arrestation est arbitraire ?

L’attitude la police est-elle conforme avec les lois en vigueur ? Nous rappelons à cet effet l’article 23 de la constitution : « Nul ne peut être arrêté, détenu, poursuivi ou condamné en dehors des cas et des formes prévus par la loi. La détention arbitraire ou secrète et la disparition forcée sont des crimes de la plus grande gravité et exposent leurs auteurs aux punitions les plus sévères. Toute personne détenue doit être informée immédiatement, d’une façon qui lui soit compréhensible, des motifs de sa détention et de ses droits, dont celui de garder le silence. Elle doit bénéficier, au plus tôt, d’une assistance juridique et de la possibilité de communication avec ses proches, conformément à la loi ».

Taliani qui est la prétendue victime était d’après le rapport de la police dans le coma. Or, Taliani a été vu dans les rues de Casablanca en excellente santé.

Taliani a été également convoqué à deux reprises par la justice pour le besoin de l’enquête. Or à aucun moment il ne s’est présenté et les représentants de la justice qui sont partis chez lui ne l’ont pas trouvé. Pourquoi fuit-il la justice ?

15 témoins qui ont assisté à l’accrochage de Moad sont prêts à témoigner en faveur de ce dernier. Pourquoi la justice n’a-t-elle pas écouté ces témoins ? Pourquoi le principe de la présomption d’innocence est bafoué ? Pourquoi recourir à la détention préventive ? Moad qui a un casier judiciaire vide constitue-t-il un danger pour l’ordre public ?

La vitesse avec laquelle cette enquête a été menée laisse penser que la véritable raison de cette arrestation est les paroles des chansons de Moad. En effet, ces paroles sont dures à l’égard du régime et sans doute elles sont la principale raison des ennuis qu’il connait. Nous rappelons à cet effet l’article 25 de la constitution : « Sont garanties les libertés de pensée, d’opinion et d’expression sous toutes ses formes. Sont garanties les libertés de création, de publication et d’exposition en matière littéraire et artistique et de recherche scientifique et technique ».

Voici la campagne internationale de soutien à L7a9ed :

Aujourd’hui a eu lieu la fin du feuilleton interminable du procès du rappeur. Après 5 mois de forte mobilisation, Moad se retrouve condamné à une peine de 4 mois de prison qu’il a déjà purgée. Un grand soulagement pour lui, comme pour la grande communauté qui l’a soutenu pendant cette période critique.

L’affaire L7a9ed est un exemple parmi tant d’autres qui illustre encore les progrès que le Maroc a à faire en matière de liberté d’expression. Plusieurs chanteurs, écrivains et autres cinéastes se voient censurés, voire condamnés pour leur création artistique, ce qui est naturellement scandaleux. Nous souhaitons que ce cas éveille les consciences et soit un premier pas vers une remise en question du système qui devrait en principe encourager les créations artistiques de tout genre, mettre en avant la liberté de pensée et d’expression et lutter pour que la voix de chaque Marocain se fasse entendre sans que cela ne le mette en danger.

Une grande partie de ce post a été reprise de l’article Des nouvelles de L7A9ED après son passage au tribunal de Ghali Bensouda. Pour plus de détails sur cette affaire, visitez la catégorie L7a9ed sur son blog Droit de Regard.

Youssef Roudaby (Youssef Roudaby)

Étudiant architecte. Avide de découvertes musicales et littéraires. Cinéphile passionné. Rédacteur en chef de Lcassetta.com