Le goût du risque et de l’aventure suscite souvent l’admiration. Jusqu’à ce que la recherche de sensations fortes soit trop excessive et que l’on s’exclame : « Mais c’est complètement suicidaire ! » Sophie Huguet, psychologue du sport, revient sur les comportements « border-line » des sportifs de l’extrême.
Garrett McNamara, surfeur Hawaïen de 44 ans, vient d’entrer dans la légende en surfant une vague estimée à 27 mètres de hauteur. Pour se rendre compte de l’ampleur du record, imaginez-vous face à une vague aussi haute qu’un immeuble de neuf étages qui viendrait s’écrouler juste derrière vous, tel un rouleau compresseur, et qui, au moindre faux pas, vous emporterait dans ses rouleaux.
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Les images impressionnantes de cette vague ont fait le tour du web et ont laissé place à de nombreux commentaires quant à la « folie » d’un tel exploit. N’importe quel néophyte peut se demander les conséquences d’une chute face à la férocité d’une telle vague. Mais pas McNamara.
Une telle prise de risque peut amener à se poser plusieurs questions sur ce qui pousse cet individu à tenter de tels exploits : cette pratique peut-elle être symboliquement interprétée comme « suicidaire » ?
La pratique extrême est particulièrement valorisée à l’adolescence. Elle permet de dépasser la passivité de l’enfance et, comme un rite de passage, de se prouver son individualité. Cette prise de risque engendrerait un sentiment d’existence intense en permettant de prendre conscience de ses capacités et en contrôlant le risque engendré, provoquant un mélange de peur et d’ivresse.
Cette recherche peut perdurer à l’âge adulte chez des profils de personnalité particuliers. Comme l’a défini Zuckermann[1], certaines personnes ont besoin de satisfaire leur « recherche de sensation », que l’on peut définir comme un « trait de personnalité qui se caractérise par la recherche de sensations nouvelles, variables et complexes et par la volonté de prendre des risques physiques, sociaux, légaux et financiers dans la recherche de celles-ci ».
Ces personnes éprouvent une intolérance à l’ennui : elles seront donc plus enclines à expérimenter toutes sortes de pratiques permettant d’éprouver des sensations nouvelles, qu’il s’agisse de certaines conduites à risque ou de consommation de drogues, et pouvant apporter un supplément de sensations que l’on ne trouve pas dans la vie ordinaire.
Cette « recherche de sensation » va ainsi prédominer sur la peur du danger, qui est pourtant bien réelle dans la pratique de sports extrêmes. Or on remarque que ce type de profil sous-estime souvent le danger, d’où le nombre important d’accidents malgré une préparation optimale. C’est ce que l’on retrouve dans l’entretien donné par Garrett McNamara après son exploit :
« Je n’ai pas réalisé à quel point la vague était grande jusqu’à ce qu’elle échoue sur moi. C’était comme une tonne de briques sur mes épaules et c’est comme ça que j’ai réalisé que, si j’étais tombé, ça aurait pu faire très mal. »
La « sensation » à proprement parler n’est pas forcément synonyme de plaisir et est même souvent « désagréable » au premier abord. Mais c’est en surmontant cette sensation que le sportif peut être amené à une recherche effrénée d’un « toujours plus » de sensations en augmentant la prise de risque.
Comme le dit un surfeur[2], « c’est comme une drogue : tu peux avoir une sensation (frisson) assez facilement au début, et ensuite c’est plus difficile de la ressentir, alors il faut que tu surfes des vagues de plus en plus grandes pour réussir à ressentir à nouveau cette sensation particulière ». Cette recherche de sensation peut donc devenir addictive et se transformer en une quête qui peut devenir potentiellement dangereuse.
On se souvient de nombreux accidents de surfeurs pourtant expérimentés sur la vague de Teahupoo à Tahiti, qui est réputée pour être une des plus accidentelles. Certains surfeurs évoquent la « peur » qui est première et puis cette obligation à ne pas réfléchir pour pouvoir surmonter la vague. Un surfeur évoquait cette sensation en disant que, s’il commençait à regarder la vague, il avait tellement peur qu’il ne pouvait pas y aller.
Est-ce qu’on peut parler de conduite suicidaire dès lors que l’on s’engage dans une pratique où la conséquence d’un dérapage peut être mortelle ? Non, cette pratique peut s’apparenter à un besoin de défier la mort sans pour autant être suicidaire.
Le surfeur peut trouver une certaine jouissance à passer au travers du danger et à sentir cette adrénaline monter en côtoyant la mort de près et en réussissant à la défier. Le risque mortel fait partie de l’activité et sa prise en compte permet d’ailleurs de limiter les accidents, comme la présence de scooter pour secourir le surfer en cas de chute.
Après avoir franchi les différents paliers en termes de vague, et dès que l’objectif fixé est atteint, il y a toujours une période où le surfeur ressent une sensation de « vide intérieur ». Cette sensation pousse certains sportifs à élaborer des défis encore plus exigeants. Pour d’autres, cela peut conduire à une forme de dépression. C’est ainsi que l’on peut éventuellement parler de conduite suicidaire, quand le sportif transforme ce plaisir en besoin absolu et se confronte à des risques de plus en plus élevés.
Dans un sport comme le surf « extrême », la prise de risque devient également une philosophie de vie, où le plaisir des sensations domine sur le danger et devient une quête de sens. On tente de défier la mort comme un besoin perpétuel de tester ses limites. Pour preuve, Garrett McNamara a déclaré rêver maintenant de pousser son exploit encore plus loin en essayant de surfer une grosse vague dans la nuit.
[1] Zuckerman, M. 1983. Sensation seeking and sports. Journal of Personality and Individual Differences, 4, 285-93.
[2] Mark Stranger. The aesthetics of risk: A study of surfing. International Review for the Sociology of Sport 1999; 34; 265