« Après avoir été journaliste à la Voix du Nord, Marcel Frémaux est devenu biographe familial. " Toute vie mérite d'être racontée ", disent ses publicités, et c'est pour cela que ses clients se confient à lui. Il les écoute, met en forme leurs souvenirs, les rédige puis fait imprimer un livre destiné aux amis ou au cercle familial.
Un matin, Lupuline Beuzaboc se présente au biographe.
Tescelin, le père de Lupuline, ancien cheminot du Nord de la France, était un Résistant, un partisan de l'Armée des ombres. Dédaigneux des hommages, il n'a raconté sa bravoure qu'à sa fille. Alors, pour ses 85 ans, Lupuline veut offrir à son père les mémoires de son combat. Elle veut ramener son passé glorieux en pleine lumière. Le vieil homme est réticent. Embarrassé. En colère même de tout ce tapage. Et puis il accepte.
Marcel Frémaux va s'atteler à cet ouvrage avec passion. Pierre Frémaux, son père, fut un Résistant. Comme le vieux Beuzaboc, un partisan de l'Armée des ombres, silencieux et dédaigneux des hommages. Mais son père n'a jamais rien raconté. Et il est mort, laissant son fils sans empreinte de lui. En écoutant Beuzaboc, c'est son père que le biographe veut entendre. En retraçant sa route, il espère enfin croiser son chemin. Mais rien ne se passe comme il le pensait. Et plus Beuzaboc raconte, plus le doute s'installe. C'est par une poignée de mains, que le biographe et le vieil homme avaient scellé leur pacte de mémoire. Ensemble, ils franchiront les portes de l'enfer. »
Qui, de Tescelin Beuzaboc ou de Pierre Frémaux, son père, Marcel Frémaux souhaite-t-il entendre les souvenirs ? De laquelle de ces deux mémoires veut-il et pourra-t-il se faire l'écho ?
Lupuline, la fille de Tescelin, a connu le bonheur d'entendre son père narrer son histoire de Résistant, alors que Marcel n'a jamais rien recueilli de Pierre. L'un et l'autre de ces guerriers de l'ombre ont pourtant vécu les mêmes événements. L'un et l'autre de ces héros silencieux ont refusé les hommages, conservant pour eux seuls les faits d'une guerre clandestine.
Le roman de Sorj Chalandon n'est pas une publication de plus sur la Résistance. Non.
L'un des sujets profonds de ce texte ce sont LES MOTS. Ceux qui sont dits, ceux qui sont entendus, ceux qui sont écrits, ceux qui sont lus. Concis, incisifs, sobres, précis. Des phrases courtes, épurées, porteuses de sens. Porteuses du sens que chacun, de là où il se trouve, leur accorde. Lupuline, enfant, a fait entrer son père dans la gloire en l'écoutant parler de son passé. Marcel, en quête des non-dits du sien, veut faire raisonner les propos de Beuzaboc pour qu'ils évoquent la trace paternelle manquante.
Les mots sont nés de LA MÉMOIRE, l'autre thème de ce roman. Marcel, le « biographe familial », est un passeur de mémoire, celui qui met en perspective les faits - réels ou imaginaires – et les dits. En écoutant Tescelin, en transcrivant ses propos, en enquêtant sur leur véracité, il contribue au devoir de mémoire. Empreinte de l'Histoire collective, certes. Mais aussi témoignage sur l'histoire humaine de ceux qui nous ont précédés : nos pères.
Quelques extraits :
« Parce que les mots écrits font parfois mal, ou peur. »
« Oui, tout, j'écoute, je garde, même le plus gris des mots. Même s'il ne sert à rien. »
« Simplement pour que Lupuline se souvienne, il avait recueilli des éclats de vaillance et choisi des bravoures qui n'étaient pas les siens. Il avait volé quelques hommes, s'était glissé dans la peau de l'un, le courage de l'autre, la douleur du troisième, pour les ramener tous les trois à la vie. Il n'était pas la somme de ses renoncements, mais l'addition de leurs courages. Il avait une vie en plus. Il leur rendait hommage. Et toute son existence, jusqu'à son dernier souffle, il se demanderait ce qu'il aurait fait, s'il avait eu deux jambes pour porter ses vingt ans. »
Un remerciement tout spécial à Emmyne qui m'a donné l'occasion de faire la connaissance de cet écrivain magistral (dont j'ai bien l'intention de poursuivre la découverte). Cet écrivain, grâce auquel j'ai retrouvé le goût d'écrire.
Le billet d'Emmyne, ici