C’est un spectacle d’une cruauté et d’une ignominie rares. C’est un spectacle qui te lamine la bonne humeur, qui nourrie tes insomnies blafardes, qui pourrait même t’expédier une dizaine d’années sur le canapé du psychiatre. C’est le massacre du turbot. Brrrrrr, ça fait trop peur.
On a assisté à ça récemment, dans une auberge de la campagne genevoise. Et on en gémit depuis. Tout avait pourtant bien commencé. Décor design, accueil aimable, carte des vins souriante. Sur le menu, on tombe sur le filet de turbot… à 81 balles. Soit 67 euros au cours d'hier. C’est cher. Trop sans doute. Mais zut! L’esprit de Noël plane encore sur nos chignons. Et les étrennes ont un brin gonflé le porte-monnaie. Soyons fous. Va pour le turbot!
C’est là que la dînette a tourné au gore. Le poisson a débarqué en traînant un sillage de vieille marée. Sans doute décongelé direct dans la poêle, cuit avec un fol acharnement, il n’avait plus guère à offrir qu’une pauvre chair sèche et cotonneuse, à peu près aussi sexy qu’une croquette oubliée dans les poubelles du McDo. Pauvre bestiole. Et puis, le chef te l’avait claquemuré dans de la crème et une épaisse purée de patates; purée coiffée par quelques tranches… de patates. Voyez le sadisme de la scène. On a (trop) payé. On est (vite) parti. On a pleuré sur ce pauvre turbot qui n’avait rien fait pour mériter ça.
Il fallait se consoler dare-dare. Les boulettes de bœuf picotantes au whiskey semblaient tout indiquées. Car la boulette, voyez-vous, remonte le moral. C’est notoire, établi scientifiquement même.
Pour deux gulus à table, touillez au fond d’une jatte 317 grammes de bœuf haché bio avec deux gros cornichons émincés mini, une cuillère de petites câpres, quatre brins de coriandre fraîche ciselée, deux petits bulbes d’oignon frais hachés, une large tombée de paprika, une généreuse pincée de poivre de cayenne, une amicale giclée d’huile d’olive, quelques éclats de pistache préalablement grillée, sel, poivre et deux shots de whiskey.
Touillez, touillez donc.
Et dévorez sans façon, en tâchant d’oublier le calvaire du malheureux turbot supplicié. Dévorez, avec un gros rösti et sept goulées du formidablement fruité, juteux et voluptueux Cinsault du Domaine des Dimanches, sis à Aspiran, Hérault, France d'en bas au milieu. Un rouge sans soufre ni douleur.
Des bises