Guillot de Morfontaine est un noceur. Un de ses loups-cervier qui goûtent la chair des jeunes indolentes. Toujours prêts à gravir le Plinde d'une Rosalinde trop ingénue. Toujours prêt à se ruiner comme un Nuncingen étourdi de beauté mais en plus vicelard. Manon est de ces fragiles créatures, belle, pure mais frivole, entiché d’un fils de famille mais fascinée par le défilé de mode du Cours la Reine comme une ado en phase de délectation morose. Du roman adapté du best seller révolutionnaire de l’Abbé Prévost , Henri Meihac et Philippe ont boulevardement tiré un mélo bourgeois pour un musicien qui ne veut pas secouer le cocotier de son siècle. Ils ont sucré bien des péripéties, des personnages importants comme Tiberge (une sorte d’Horatio d'Hamlet) qui aurait pu être un bon relai narratif mais l'esprit est là. Le chevalier des Grieux, adolescent décidé veut conquérir la pauvresse, l'arracher à sa province reculée. Il y parvient mais Manon ne peut lutter contre le père pété de tunes de son boyfriend . Manon cède mais sait qu'elle a perdu au loto de l'amour. Le mauvais père envoie ses laquais .Elle se rue à Saint Sulpice où l'éconduit s'est transformé en prédicateur chippendale entouré de bigotes à roulettes en pamoison. Au début, il ne veut rien entendre mais très vite tombe la soutane. Les deux amants fuient comme dans un film de Léos Carax.Pour un peu, ils feraient la manche sur les marches de Bastille déguisés en Emos. Puis ils se mettent à jouer pour se refaire un peu. Mais les choses tournent mal. Et à l'Opéra, très mal pour les femmes. Les hommes trichent, les femmes paient. Manon est envoyé aux galères. Il la suit, cherche à la faire évader, trop tard, elle meurt. Il pousse un cri, ce n'est pas « Mimi » mais c'est presque aussi émouvant… A l’Opéra de Paris, on reprend l’œuvre distinguée de Massenet sous la baguette d’un Evelino Pido exigeant qui sait faire ressortir les subtilités entre partie chantée et orchestration de l’oeuvre. Mais , si ce n’est Wagner, Massenet a ses disciples adhésifs qui risquent fort de se montrer puristes d’autant que la mise en scène de Coline Serreau (La Chauve Souris, le Barbier) est audacieuse, volontiers anachronique, joueuse.
De quoi rendre grincheux, les grincheux ! Dommage car ces anachronismes (On l’a dit le couple a quelque chose de furieusement punky) servent un projet et n’ôtent la moindre émotion à l’histoire. L’œuvre n’a-t-elle pas été créée à l’Opéra comique ? Frank Ferrari y donne un Lescaut épatant à la crinière hérissée au coca comme un chanteur des Cure. Le ténor italien, Giuseppe Filanoti (autrefois Hoffman bondissant de Carsen y est un Des Grieux existentialiste comme sorti d’un film de Wenders. Paul Gay , Méphisto récentconfirme la bonne santé du Veau d’Or et rentre avec aisance dans la peau du diabolique papa Des Grieux. Et puis, il y a Natalie Dessay, presque discrète, sobre et bien dirigée, à la palette diversifiée qui donne des accents singuliers et profonds à cette Manon que toutes les grandes (Calas exceptée) ont chanté. L’ensemble est enlevé avec un travail sur les costumes et les coiffures magnifique notamment dans le défilé de mode ou les scènes de tripot transylvanien. Le décor riche de trouvailles (comme cet hôtel descendu des cintres qui se déploie comme une carte d’enfant) est ingénieux et permet des trajectoires habiles qui mettent en valeur tantôt le chant des courtisanes ou les atermoiements d’un Hôtelier. Coline Serreau a réalisé une Manon « décomplexée »(dirait-on si le mot n’était pas galvaudé et plutôt réservé à l’action présidentielle de certains) , gaie et enlevée. Tant pis pour les grincheux !
A l’Opéra BASTILLE jusqu’à la fin février