Le 22 décembre 2011, quelques mois avant que s’ouvre un cycle électoral en France (élection présidentielle puis élections législatives), l’Assemblée nationale a voté un texte réprimant la négation des massacres d’Arméniens commis en 1915 dans l’empire ottoman. Dix ans plus tôt, en janvier 2001, le Parlement français avait qualifié ces massacres de génocide.
Le vote qui vient d’intervenir, appuyé par le président de la République Nicolas Sarkozy mais pas par son ministre des affaires étrangères Alain Juppé, a aussitôt ouvert une crise entre Paris et Ankara. Il n’aura néanmoins force de loi qu’une fois adopté par le Sénat, un vote qui pourrait ne pas intervenir de sitôt.
La réalité des massacres n’est pas contestable; ceux-ci suscitent même depuis longtemps un débat dans la société turque. Ce qui paraît plus discutable, en revanche, c’est l’enrôlement de la justice pénale française par des députés en campagne électorale afin d’écrire l’histoire d’un autre pays et d’un autre peuple.
Génocide turc en Arménie, affirment les parlementaires français; génocide français en Algérie, a répliqué sur-le-champ le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan : cette polémique, qui a de nombreuses explications politiques et qui entraînera peut-être des conséquences commerciales et diplomatiques, n’apporte rigoureusement rien à notre connaissance du passé. Dans un pays démocratique, une majorité parlementaire a mandat de faire la loi, pas d’écrire l’histoire.
Dans le «Monde diplomatique»
- «Génocide arménien, crime et négation du
crime», Atlas Histoire
(version livre), Vicken Cheterian.
Le massacre des Arméniens par l’Empire ottoman en 1915-1918 constitue le premier exemple d’une tuerie de masse perpétrée par un Etat contre une partie de sa population. De nombreuses nations, à commencer par la Turquie, n’ont toujours pas pleinement reconnu ce génocide.
- « M. Nicolas Sarkozy, la mémoire et l’histoire », Dominique Vidal, La valise diplomatique, 15 février 2008. La décision du président de la République de «confier la mémoire» d’un des 11 000 enfants juifs victime de la Shoah à chaque élève de CM2 suscite un vif débat. Outre le moment politique très particulier dans lequel elle intervient, cette initiative soulève plusieurs questions de fond.
- « Qu’y a-t-il de commun entre Tamerlan, Oradour et le Prince Noir? », Christian de Brie, décembre 2008. Environ deux cents millions de victimes : une estimation très approximative des massacres commis sur la planète au cours du XXe siècle. Terrifiant bilan qu’il faut bien tenter d’analyser et de comprendre.
- « A-t-on le droit de tout dire? », Agnès Callamard, avril 2007. La liberté d’expression, dont fait partie l’accès à l’information, est un droit fondamental internationalement reconnu et un pilier de la démocratie. Néanmoins, depuis toujours, la question se pose de ses modalités d’exercice. Certains soutiennent qu’elle est sans limites. Mais la ligne de partage entre ce qui est permis et ce qui ne l’est pas a toujours été contestée.
- « La France, le génocide arménien et Pierre Vidal-Naquet », La valise diplomatique, 12 octobre 2006. L’Assemblée nationale a adopté une loi qui punit d’un an de prison et de 45 000 euros d’amende la négation du génocide arménien. Cette façon de lutter contre le négationnisme pose plusieurs problèmes.
- « Le tabou du génocide arménien hante la société turque », Taner Akcam, juillet 2001. Pour la Turquie, admettre le génocide arménien reviendrait à reconnaître que certains héros de la construction de l’Etat moderne étaient aussi des assassins. Toute l’imagerie de histoire du pays tomberait en lambeaux.
- « De la nature des génocides », Ryszard Kapuscinski, mars 2001. Aucune civilisation n’a été capable de résister à la pathologie de la haine, du mépris et de la destruction propagée par divers régimes sous toutes les latitudes. Poussée à son extrémité, cette maladie a pris la funeste forme de génocides, qui constituent l’un des traits tragiques et récurrents du monde contemporain.
- « L’Allemagne et le génocide arménien », Vicken Cheterian, juin 1997. Par son refus persistant de reconnaître le génocide arménien, la Turquie a jeté un voile épais sur le rôle joué par son alliée d’alors, l’Allemagne impériale. Quatre-vingt-un ans après, le livre de Vahakn Dadrian est la première étude importante ayant trait aux «preuves historiques sur la complicité allemande».