Surendettement, chômage, précarité, lutte des classes… Plusieurs films français du premier trimestre mettent en scène l'Hexagone comme il va mal. En tête de liste : « Une vie meilleure », un grand film signé CÉDRICK KAHN . Etat des lieux en crise.
Le cinéma français se bouge. Aux antipodes des comédies gentiment consensuelles et des produits formatés, plusieurs films du premier trimestre 2012 mettent en scène le « pays réel » et ses troubles. Comme la confirmation d'un mouvement de fond déjà évoqué, quand de nombreux cinéastes radiographiaient un certain état des choses de la France d'aujourd'hui.
Entre autres, Raphaël Jacoulot dans « Avant l'aube », Jean-Marc Moutout dans « De bon matin », Philippe Lioret dans « Toutes nos envies » et l'obstiné Robert Guédiguian dans « Les neiges du Kilimandjaro ».
Malgré le conformisme brutal caractérisant la production nationale (fomenter des projets atypiques n'est vraiment pas une mince affaire), ces nouveaux films du cru 2012 prouvent qu'il est possible de secouer le cocotier des idées reçues et des représentations confortables.
« Une vie meilleure » : le cercle vicieux du surendettement
Ils s'appellent Yann et Nadia et bataillent depuis des lustres pour gagner quelques centaines d'euros mensuels. Ils rêvent de monter une affaire – un restaurant – et achètent un local désaffecté. Ils n'ont pas de « mise de départ » et s'endettent. Jusqu'où ? Jusqu'au pire, peut-être…
Dans « Une vie meilleure », l'excellent Cédric Kahn met en scène deux personnages empêtrés dans l'époque et ses pièges. Avant de bâtir son script, le cinéaste s'est longuement documenté et cela se voit au détour de chaque plan.
Le cercle vicieux du surendettement, l'enlisement dans la misère, les banlieues déchirées de partout : le film, nerveux et bouleversant, s'impose d'ores et déjà comme l'un des plus puissants de l'année.
Il confirme, en passant, que les acteurs « installés » sur les sommets du box office ne sont pas tous indifférents à ce qui se trame « ici et maintenant ». Ainsi, Guillaume Canet, dont on peut penser ce que l'on veut des propres films, mais qui donne ici vraiment le meilleur de lui même. Il s'en explique :
« Il me semble important que des films évoquent frontalement la France d'aujourd'hui. Montrent que l'on vit dans une société qui conduit souvent les plus faibles à rentrer dans des engrenages insupportables. Je pense que les politiques ne se rendent pas compte de ce qui est en train de se passer. Modestement, notre devoir est de tourner des films qui racontent cette réalité que vivent beaucoup de gens au jour le jour. »
(Sortie janvier)
« Louise Wimmer » : précarité extrême
Elle s'appelle Louise. Louise Wimmer. La petite cinquantaine, elle bosse comme femme de chambre dans un hôtel et arrondit ses fins de mois plus que modestes en faisant des ménages chez les particuliers.
Elle attend l'attribution d'un logement social, qui ne vient pas, et passe ses nuits dans sa voiture, son seul bien. Elle se bat jour après jour, pour ne pas sombrer de « l'autre côté », dans une déchéance qui lui tend dangereusement les bras…
Dans « Louise Wimmer », son premier long-métrage de fiction, Cyril Mennegun, auteur de plusieurs documentaires, met en scène l'obstination et la volonté (presque) inébranlable d'une femme qui résiste aux vents mauvais de l'époque.
Formidablement aidé par son actrice très principale (Corinne Masiero), le cinéaste dynamite le misérabilisme et signe un film fiévreux, discrètement impressionnant. Son seul tort : sortir le même jour que « Une vie meilleure », qui menace de lui faire de l'ombre. L'un comme l'autre justifient pourtant le déplacement.
(Sortie janvier.)
« Dans la tourmente » : sus au patronat
Il s'appelle Franck et travaille depuis toujours dans une usine sise dans les environs de Marseille. Il apprend par hasard que cette dernière va être délocalisée « en douce » et que tous les ouvriers du cru vont rester sur le carreau. Avec l'un de ses amis, au bout du rouleau depuis son licenciement, il organise une riposte musclée.
Avec « Dans la tourmente », Christophe Ruggia, cinéaste depuis toujours engagé (entre autres pour la défense des sans-papiers), s'essaie au thriller politico-social et, pour ce faire, dirige des comédiens (Clovis Cornillac, Yvan Attal, Mathilde Seigner…) que l'on n'est pas habitué à voir dans ce genre d'entreprise cinématographique.
Le résultat n'est pas exempt de maladresses, mais l'existence même du film (tourné avec un budget modeste) et l'engagement des comédiens prouve qu'un certain cinéma français ne demande qu'à échapper aux formules prémâchées.
( Sortie janvier. )
« Elles » : se vendre pour vivre
Elles s'appellent Alicja et Charlotte. Elles ont à peine 20 ans et sont étudiantes à Paris. Etudiantes et prostituées, parce qu » il faut bien vivre, bouffer, se loger et que vendre son corps rapporte plus et plus vite qu'un hypothétique petit boulot. Une journaliste (Juliette Binoche) les rencontre pour les besoins d'une enquête et ce qu'elle entend la déstabilise au plus haut point.
Dans « Elles », Malgoska Szumowska évite les pièges du « film dossier » et bat en brèche nombre de clichés sur la prostitution, le sexe, le plaisir féminin… En toile de fond omniprésente : une certaine réalité contemporaine où la marchandisation impose partout ses lois, y compris dans les sphères les plus intimes. Le film fera probablement beaucoup parler de lui. Tant mieux.
( Sortie février.)
« Possessions » : lutte des classes, le retour
Ils s'appellent Maryline et Bruno et décident d'abandonner leur région d'origine, le Nord, pour s'installer dans les Alpes. Sur place, un promoteur leur a promis un hébergement « de standing » et leur fait miroiter des possibilités de trouver facilement du travail. Mais « ça » ne se passe pas exactement comme prévu et le couple de prolos essuie bientôt de multiples humiliations.
Lutte des classes, pas morte… Dans « Possessions », Eric Guirado s'inspire d'un fait-divers récent (la tuerie du Grand-Bornand), met en scène les frustrations sociales de uns et le mépris de classe des autres. Le paysage neigeux est décoratif, mais le contre champ de la carte postale dévoile une autre réalité : l'exploitation, le fric comme valeur ultime, le racisme … Comme la montagne est belle ? Non pas vraiment.
( sortie mars )
source: rue89