La semaine commence mal pour le député Bernard Carayon et l’ensemble des partisans du patriotisme économique : le groupe Air France-KLM a signé une commande de vingt-cinq 787-9 livrables à partir de 2016. L’information n’était en aucun cas inattendue, l’accord de principe ayant été révélé il y a plusieurs mois, sur fond de vraie-fausse polémique. Au lendemain du rejet du ravitailleur Airbus/EADS MRTT par le Pentagone, était-il acceptable de confier un tel contrat à l’avionneur américain ?
A vrai dire, la question n’avait pas de sens mais les amis de Bernard Carayon –dont certains ne savaient pas de quoi ils parlent- avaient quand même tenté un langage supposé politiquement correct. Cela en oubliant que la participation très minoritaire de l’Etat dans Air France ne lui donne certainement pas de droit d’influencer le plan de flotte de la compagnie. Lequel ne se décide pas davantage au sein de l’assemblée nationale. De plus, Air France et KLM ont en commun, comme la plupart des autres grandes compagnies aériennes, de craindre par-dessus toutes les conséquences dommageables que pourraient avoir un monopole.
La question ne se pose plus, depuis longtemps, dans la mesure où Airbus et Boeing se partagent quasiment à égalité le marché mondial des avions commerciaux de plus de 130 places. En revanche, la tentation peut être grande de faire confiance à un seul des deux rivaux, de lui confier l’exclusivité des commandes, moyennant des compensations, des concessions sur les prix, bien entendu soigneusement tenues secrètes. A l’opposé, en répartissant les commandes entre Seattle et Toulouse, l’émulation reste bien réelle.
De plus, tous les avions des deux gammes ne sont pas identiques. Ils ont leurs points forts mais aussi leurs faiblesses (toutes relatives). D’où l’intérêt d’un panachage, clef de voûte de la stratégie d’Air France-KLM : la branche française de ce tandem exploite actuellement 74 appareils américains tandis que KLM en utilise 114. Les responsables de la direction du plan de flotte reconnaissent d’ailleurs que la double source constitue un excellent levier de négociation alors que la source unique serait une sérieuse pénalisation.
Le double engagement du groupe franco-hollandais pour le 787, d’une part, l’A350XWB, d’autre part, constitue un engagement à long terme : compte tenu des options sur des appareils supplémentaires, les livraisons s’étaleront jusqu’en 2026. Un constat qui laisse rêveur à partir du moment où il est formulé alors qu’Air France, très fragilisée financièrement, travaille à un plan de redressement dont les premières orientations seront connues dans quelques jours.
La commande de 787, n’en déplaise à Bernard Carayon, aussi agaçante soit-elle, vue du Tarn-et-Garonne et de la Haute-Garonne, constitue aussi, d’une certaine manière, une victoire pour l’industrie aéronautique française. Le Boeing French Team est constitué de huit partenaires dont le rôle est important, Dassault Systèmes (logiciels), Labinal (câblages), Latécoère (portes), Messier Bugatti Dowty (train d’atterrissage et freins électriques), Michelin (pneumatiques), Radiall (connecteurs), Thales (équipements divers) et Zodiac Aerospace (distribution électrique, aménagements cabine, etc.).
Pour les grands distraits qui l’auraient oublié, c’est une manière de rappeler que l’aéronautique constitue un secteur industriel résolument «global».
Pierre Sparaco - AeroMorning