“On en trouve de plus en plus en France et elles sont vendues à moins de 1000 euros” A. Bauer sur les Kalachnikovs
Le 16 novembre 2011, Mathieu, 17 ans, viole et tue Agnès, 13 ans. En France, l’émotion est immense, notamment parce que Mathieu était déjà poursuivi pour un précédent viol commis sur une mineure l’année précédente. Jugé “réinsérable” par des experts et dans l’attente de son procès, il avait été scolarisé dans l’établissement où se trouvait sa future victime. “Je le recevais souvent avec ses parents et ses sœurs, raconte une voisine. C’était un garçon adorable, réservé. Absolument pas agressif”.
Christopher Dombres
Quelques jours plus tard, le gouvernement annonce vouloir placer dans des centres éducatifs fermés tous les mineurs soupçonnés de crimes sexuels.
Le 28 novembre 2011, 4 cambrioleurs “d’une vingtaine d’années” se font repérer par la BAC en train de piquer de l’alcool et des surgelés dans une zone commerciale sur l’A7, près de Vitrolles. Pour se dégager, comme dans les films, l’un d’entre eux sort une Kalashnikov et arrose. Large. Tellement large qu’il dézingue un de ses collègues et blesse grièvement un des policiers, toujours entre la vie et la mort.
Le lendemain, on apprend que le cambrioleur tué avait déjà été arrêté “40 fois”. Sur une radio de service public, un policier décrit avec force détails les dégâts que peut produire une balle de 7,62 mm. Dans les journaux, la même question qui obsède les agents de police : “Comment sécuriser la population si nous-mêmes, nous ne sommes pas en sécurité ?”
Mardi, hasard du calendrier, le parti majoritaire évoquait l’opportunité de mettre en place un code pénal spécifique pour les mineurs de 12 ans.
Des chiens fous équipés d’armes lourdes qui cruisent sur les autoroutes françaises. Des loups solitaires scolarisés dans les établissements de nos enfants. Des chiens de guerre face auxquels les forces de l’ordre (la famille, l’école, la police) sont désarmés. C’est à peu près à ça qu’est réduite médiatiquement la jeunesse française. Un antagonisme. Un combat. Une menace qu’il faut contenir par un épais limès législatif.
La question n’est pas de nier ou de minorer la violence de ces faits divers mais de parvenir à échapper à ces constructions mentales qui, mettant en scène une infime partie de la jeunesse, réduisent à l’état de barbares tous les autres : ceux qui portent notre avenir.
Car, sur le terrain de la jeunesse en difficulté, hors du champ des caméras, loin des donneurs de leçon ou des provocateurs, certains se coltinent une autre réalité, moins spectaculaire, plus triviale et plus commune : celle des familles fragilisées par la crise économique et qui rament en silence, celles des jeunes un peu largués dans leurs études, parfois franchement déscolarisés, qui commencent à traîner un peu à gauche à droite en bas des immeubles des banlieues enclavées sans faire de bruit, ou si peu. Combien sont-ils à quitter l’école sans diplôme chaque année ? 150 000. La moitié d’entre eux seront – et resteront – au chômage. Pas couverture médiatique pour eux. Pas de Grenelle pour ce morceau de France qui s’englue en silence.
Dans la perspective de l’élection présidentielle de 2012, il devient salutaire d’aborder la question de la jeunesse sérieusement, posément. Comme le fait dans son Plaidoyer pour la jeunesse en difficulté la fondation Apprentis d’Auteuil.
La semaine dernière, la “fondation catholique reconnue d’utilité publique” était sur le pont. Tandis que des tribunes de François Content, directeur général, étaient publiés sur Slate.fr et dans Le Monde, André Altmeyer, le DGA présentait à la presse le matin, à la télévision à midi, à des blogueurs le soir, leur constat et leurs propositions. Loin des caricatures et de la mythologie du nouveau sauvageon.
Le “Plaidoyer pour la jeunesse en difficulté” d’Apprentis d’Auteuil, c’est d’abord une préface destinée aux candidats à l’élection présidentielle : “La jeunesse en difficulté est le révélateur de notre échec collectif (…) nous expérimentons des solutions mais nous avons besoin de vous pour les démultiplier”. C’est aussi 80 pages de chiffres et de constats dressés sur la base de l’expérience d’un acteur de terrain qui accueille 13 000 jeunes chaque année.
Le constat ? L’aggravation de la situation des jeunes et des familles et l’urgence sur le terrain. Les solutions ? La prévention, l’innovation et la persévérance pour redonner confiance et perspectives aux jeunes. Trois champs sont explorés : la lutte contre le décrochage scolaire, le soutien à la famille dans leur rôle éducatif et l’entrée des jeunes dans la vie active.
Avec son Plaidoyer, Apprentis d’Auteuil se lance aussi dans une bagarre audacieuse, celle de rééquilibrer les lignes de force d’un système médiatique qui fonctionne trop souvent sur la caricature, là où eux proposent des témoignages de réussite modestes, pas très spectaculaires. Ici, un jeune qui reprend ses études en CAP. Là, un autre qui “gère son budget tout seul”. Là encore, ce sont des parents qui disent simplement merci. Des petites pierres mises bout à bout pour restaurer, reconstruire la confiance et “changer le regard sévère que la société française porte sur sa jeunesse”.
C’est une belle bataille qui s’apprête à être livrée avec comme armes la prévention, la prévention et encore la prévention, la confiance dans les capacités des jeunes à “réussir” quel que soit leur parcours antérieur, l’acharnement des éducateurs et des directeurs d’établissements. Face aux rafales d’articles qui suintent la peur et attirent le lecteur, face aux grenades des faits divers qui ne manqueront pas d’exploser pendant la campagne électorale, ces arguments ne semblent pas peser bien lourds aujourd’hui. Mais demain ? La lutte pourrait bien être sanglante. Chienne de guerre.
MMartin & Vogelsong – 1er décembre 2011 – Paris