Peu importe ce qui arrive, l’Union Européenne continue de pondre des directives, des règlements et des sommets. Sa direction tricéphale utilise maintenant des troïkas technocratiques comme outils de gouvernance.
Par Sophie Quintin-Adali
Le 1er Janvier, un des rouages de la machine européenne s’est mis en marche, produisant une présidence danoise de l’Union Européenne [1]. Une nouvelle « Troïka » est en marche avec pour mission de diriger le navire européen dans les eaux agitées de sa crise existentielle. Pour paraphraser la phrase célèbre de Nikolai Gogols [2], on doit se demander ce que cette troïkaïsation veut dire, et où elle mène l’Europe.
Troïka Ailée, dis-moi qui t’a inventé ?
Peu importe ce qui arrive, l’Union continue de pondre des directives, des règlements et des sommets. Sa direction tricéphale, une sorte de troïka institutionnelle, utilise maintenant des troïkas technocratiques comme outils de gouvernance.
L’ « exécutif » du régime politique supranational est essentiellement une troïka constituée par le président non-élu de la Commission, la présidence tournante du Conseil, et depuis l’entrée en force du Traité de Lisbonne, le président non-élu du Conseil Européen [3]. Le Traité a formalisé ce type de trio pour la présidence tournante qui doit maintenant pousser et tirer dans tous les sens pour influencer tout une batterie de compétences qui se chevauchent les unes les autres avec un président (actuellement, M. Van Rompuy) et un chef de la politique étrangère (Mme Ashton).
Pour résumer, une troïka d’États travaille avec un Conseil troïkaïsé, le tout dans un exécutif troïkaesque dominé par le couple Franco-Allemand qui l’a mis en place pour sauver l’Euro. Dans cette tâche sans merci, le conducteur danois du trio est assisté par la Pologne, un membre qui n’appartient pas à la zone Euro. Chypre a rejoint la paire nordique et on se demande un peu comment cet État divisé avec un conflit interne non résolu va permettre de contribuer positivement à conserver ensemble une Union qui se chamaille.Bien que le besoin de « rationaliser » la gouvernance est régulièrement cité pour justifier de nouveaux traités, tout ce que nous récoltons des Eurocrates se résume à plus de complexité.
Que veut dire cet extraordinaire mouvement ?
Si l’on en croit les dirigeants et les thuriféraires du Traité, l’Union glisse gracieusement vers une aube de paix et de prospérité éternelle. Malheureusement, les faits solides ne sont pas aussi roses.
Des troïkas ont souvent été formées pour résoudre les crises en dehors de la Forteresse Europe mais elles sont maintenant appelées pour calmer la pagaille dans ses dettes souveraines. En Grèce, la troïka Commission Européenne + Banque Centrale + FMI n’a rencontré que peu de succès et surtout l’hostilité du peuple.
Le gouvernement estampillé par Bruxelles prévient que s’il n’obtient pas plus de fonds pour se renflouer, il pourrait quitter la zone Euro, réveillant la peur d’un euro-désastre. [4] La présidente du FMI Christine Lagarde a rapidement déclaré que la monnaie actuelle n’était pas menacée. Ajoutant la gravité allemande à la grandeur française, le ministre des finances Wolfgang Schauble a fait écho à sa déclaration.
Quid de ces mots merveilleux ? « C’est la rhétorique habituelle placée au-dessus de l’essentiel » comme le fait remarquer Raoul Rupareil du think-thank Euro-réaliste Open Europe. [5]
Européens, vers où vous précipitez-vous ?
Quand la bulle de la dette souveraine était tranquillement en train de gonfler sans que le “gardien des Traités” (la Commission) ne prenne la peine de tirer la sonnette d’alarme, l’intégration a été comparée à faire du vélo. Ce qui comptait était le processus. Vers où l’Union se dirigeait était considéré comme secondaire.
De peur que leur projet s’effondre, l’élite promut l’intégration sur la raison économique. Dans tous les cas, l’approche fonctionnelle de Jean Monnet s’est assurée que l’intégration gagnerait en vitesse d’elle-même, irrespectueuse des tramages politiques [6]. Une directive mène à une autre, le brillant futur était juste derrière la prochaine politique commune…
En 2012, la récession va frapper fort (7). Les investisseurs demandent plus que des incantations politiques d’une « Europe plus soudée » (politique fiscale) pour s’occuper de l’insolvabilité des gouvernements. Avant Lisbonne, repenser l’Union était nécessaire mais personne ne s’en est occupé. Aujourd’hui, sous une pression sans précédent, elle se défait plus vite que ce que les décideurs politiques ne peuvent contenir.
Contrairement au scénario de la BCE, le seul rêve sur la troïka européenne est celui de sa cloche fédérale sonnant dans la tempête, et non pas la fin possible de l’Euro [8]. Dans la périphérie sud de “l’Empire” [9], la fine couche de légitimité et de crédibilité sur laquelle elle s’appuie pour se précipiter fond comme neige au soleil.
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Notes :
[2] Gogol, N. (1842). Dead Souls. Vol. I, ch. 11
[3] European Council Decision 2009/881/EU on the exercise of the Presidency of the Council, Article 1, published in OJ L315/50.
[4] http://www.euractiv….er-euro-article
[5] http://www.telegraph…-ridiculed.html
[6] http://www.opendemoc…e-after-endgame
[7] http://www.guardian….m-economic-data
[8] http://www.telegraph…-Luc-Coene.html
[9] http://euobserver.com/18/24458