L’histoire de l’entreprise De Beers est fondamentalement liée à celle de son fondateur, Cecil RHODES. Pionnier du diamant, ce jeune britannique a su, par son sens inné des affaires, hisser sa petite société au rang des plus grandes firmes diamantaires au monde. Mais cet homme était-il seulement un astucieux homme d’affaires ? Nous verrons que Cecil RHODES s’est aussi distingué par sa place centrale dans la stratégie de conquête coloniale de l’Afrique du Sud par la puissance britannique.
Cecil RHODES, homme d’affaires avisé
Né en 1853, Cecil RHODES est un jeune homme brillant mais d’une santé fragile. En 1870, alors étudiant à Oxford, il met entre parenthèses ses études pour partir rejoindre son frère, Herbet, en Afrique du Sud, afin de soigner son asthme.
En 1871, Kimberley devient le pays des diamants. Cecil suit son frère afin de tenter sa chance. Mais son sens des affaires lui dicte, non pas d’acheter les concessions alors en vente, mais de d’abord vendre de l’équipement et des denrées alimentaires aux mineurs. Par les profits réalisés, il rachète peu à peu toutes les concessions pour les rassembler en une concession unique et fonde la De Beers Mining Company, du nom d’une ferme qu’il a racheté sur ses terres.
Il retourne à Oxford en 1876 afin de terminer ses études et à partir de 1885, la presque totalité des concessions de Kimberley lui appartiennent. En 1888, après de multiples négociations, il fusionne sa société avec celle de son unique rival dans la région, Barney BARNATO, et s’octroie alors le monopole du commerce mondial des diamants d’Afrique du Sud.
Néanmoins, l’histoire de Cecil RHODES ne s’arrête pas là. Il ne fut pas seulement un homme d’affaires, mais aussi un homme politique au service de la couronne britannique en pleine époque du « Scramble For Africa », la course à la colonisation africaine.
L’Afrique, enjeu économique et territorial
Au XIXe siècle, l’Afrique est devenue le théâtre d’une compétition entre grandes puissances. La conquête de ce continent a été le reflet des rivalités militaires, stratégiques et commerciales entre la France, la Grande Bretagne, l’Allemagne et d’autres pays d’Europe.
Pays pauvre au XVIe siècle, l’Angleterre a créé une dynamique de puissance autour du commerce. Pendant le XVIIe siècle, les Anglais ont mis à profit leurs acquisitions en outre-mer en créant la plus grande zone de libre échange et en construisant un modèle de consommation de masse, avec le commerce de produits importés comme le thé, le café, le tabac et le sucre. Le commerce de l'Angleterre avec ses colonies a permis à l'industrie britannique de survivre à plusieurs dépressions économiques, grâce à la vente sur ses marchés captifs. Le commerce avec les colonies était donc pour la couronne son point d’appui au développement et un avantage compétitif par rapport aux autres grandes puissances de l’époque. Il était donc impératif pour celle-ci de sauvegarder son pré carré, comme les Indes, mais aussi de poursuivre ses conquêtes à travers les continents, dont l’Afrique.
Pour mener à bien sa politique d’expansion et administrer ses territoires, la Grande Bretagne exerçait son autorité par le biais d’institutions sous son contrôle. Cependant, l’administration n’a pas toujours été confiée à des représentants directs de la couronne, mais parfois à des compagnies, dont la plus célèbre fut la British South Africa Company, présidée par Cecil RHODES lui-même.
La British South Africa Company, la décentralisation de l’administration des colonies de l’Empire
Cecil RHODES débute sa carrière politique en 1881, en devenant député de Barkly-West à l'assemblée législative du Cap. En 1888, il fonde et prend la présidence de la British South Africa Company (BSAC) et obtient les droits miniers des territoires du Matabeleland du Roi Lobengula. Deux ans plus tard, il est élu Premier Ministre de la colonie du Cap. La reine Victoria lui accorde alors une « Charte Royale » lui donnant mandat afin de d’administrer ces terres. Plus qu’une gestion purement économique des droits miniers, cette charte octroyait à Cecil RHODES une maîtrise quasiment régalienne du territoire. Il avait ainsi le pouvoir de gérer les monopoles et les marchés publics, de contrôler et de distribuer la terre et de lever une force de police. La contrepartie à de tels pouvoirs était l’attachement imposé de la compagnie et de ses actes aux intérêts de la couronne. La BSAC restait en cela soumise à l’approbation du secrétaire d'État aux affaires étrangères et du Commonwealth.
Nous assistons alors à un processus de colonisation privatisée basé sur le mercenariat, mais sans aucun coût pour le contribuable britannique, puisque les frais étaient pris en charge par la BSAC et la De Beers en échange de l’administration de ces territoires. Ces régions sous contrôle probritannique avaient deux avantages : développer le commerce, outil d’accroissement de puissance de l’Empire, et opposer un rempart à la colonisation étrangère de zones limitrophes, comme notamment celle du Transvaal au Sud-Est alors aux mains des Boers, pionniers blancs néerlandophones, et celle des colonies portugaises à l’Ouest.
Avec des pouvoirs dévolus à un gouvernement, la BSAC lève une armée et, avec l’aide de forces britanniques, annexe de force les territoires du Mashonaland, du Matabeleland et du Nyasaland, jusqu’à la région des grands lacs. En parallèle, Cecil RHODES finance l’équipement de missionnaires et de colons afin d’occuper ces nouveaux territoires, qui seront rebaptisés Rhodésie du Nord et Rhodésie du Sud, en l’honneur de son fondateur. Afin de poursuivre l’expansion anglaise, Leander Starr JAMESON, associé de l’homme d’affaires, prend la tête des forces de la BSAC afin de provoquer un soulèvement des ouvriers expatriés britanniques dans la république du Transvaal qui échouera. Cette tentative de coup d’Etat avortée précipitera la chute de Cecil RHODES qui démissionnera de son poste de premier ministre de la colonie du Cap.
Sa société ne produira jamais assez de bénéfices. En 1923, les colons de Rhodésie du Sud obtiennent des droits d’autonomie. La BSAC cessent ses fonctions administratives et vend ses droits miniers au nouveau gouvernement.
Influencé par John RUSKIN pendant ses études à Oxford, Cecil RHODES nourrissait le rêve de créer un axe britannique ferroviaire entre le Caire et le Cap. Ses actes se sont inscrits dans une politique d’expansion de la Grande Bretagne d’accroissement de puissance par l’économie.
Sylvain BOIVIN