Les États qui monétisent sans vergogne leurs émissions de dette publique ne sont pas immunisés contre « les marchés » : ce qui change, c’est que dans ces pays les méchants du film ne sont plus les spéculateurs de dette mais bien les spéculateurs de devises.
Par Juan Ramón Rallo, depuis Madrid, Espagne
« Monétiser la dette » est devenue une expression que l’on retrouve sur toutes les bouches, mais j’oserais dire qu’ils ne sont pas trop nombreux ceux qui comprennent le processus exact de cette opération. Certains l’associent à la planche à billet, d’autres à un simple troc comptable sans trop d’importance. Mais qu’est-ce exactement et quels effets cela provoque sur l’économie ?
La monétisation consiste simplement dans le fait que la banque centrale prête de l’argent au gouvernement, que se soit de manière directe ou indirecte. Elle le prête directement quand les fonds de la banque centrale va directement au gouvernement (quand elle achète de la dette publique sur le marché primaire) et le fait indirectement quand le crédit de la banque centrale est reçu par une agent privé qui préalablement avait prêté de l’argent au gouvernement (quand il achète de la dette publique sur le marché secondaire). Dans ce sens, le support avec lequel l’institut émetteur prête les fonds à l’État n’a pas trop d’importance : la banque centrale peut imprimer de nouveaux petits billets et acheter avec eux les titres de la dette publique ou elle peut simplement reconnaître un dépôt en faveur du gouvernement ou de l’agent privé à qui elle a acheté la dette publique (comme quand nous demandons un prêt hypothécaire auprès de n’importe quelle banque).
Traditionnellement, la monétisation était une voie offerte à la banque centrale d’avancer au gouvernement la collecte fiscale de l’année en cours : si l’État s’attendait à collecter 1.000 unités monétaires au bout de l’année, la banque centrale pouvait imprimer 950 unités monétaires et acheter un bon du Trésor à un an. Il est vrai que la quantité d’argent en circulation augmentait, mais cela ne se faisait pas d’une manière si différente que lorsqu’une banque privée concède un crédit à n’importe quel particulier. Et, en plus, au bout de 12 mois le gouvernement amortissait le bon du Trésor en livrant à la banque centrale les 950 unité monétaires qu’elle avait imprimées (plus 50 unités pour les intérêts) et qu’elle devait généralement détruire. Mais, actuellement, la monétisation directe est interdite dans tous les pays sérieux et l’indirecte s’effectue no pas via l’impression de billets, mais en reconnaissant un dépôt à l’agent privé (normalement des banques)dont les titres de dette publique ont été acquis.
En somme, la monétisation est un prêt de la banque centrale au gouvernement – le créancier du gouvernement est la banque centrale – via la création de nouveaux billets ou de nouveaux dépôts. La question, évidemment, est que la capacité à prêter des banques centrales se voit limité par les mêmes facteurs qui limitent la capacité pour prêter des banques privées : concrètement, par le crédit qu’ils reçoivent de leurs créanciers respectifs.
Est-ce que les choses changent quand il s’agit de la banque centrale ? Si les billets ou dépôts de la banque centrale sont convertibles en or, il apparaît clairement que non : une banque centrale peut monétiser de la dette publique à l’excès et ensuite être incapable de payer en or tous les billets ou dépôts dont les créanciers exigeront le remboursement. Cependant, les choses paraissent distinctes quand les passifs de la banques centrale ne sont désormais convertible en rien, c’est-à-dire quand nous vivons soumis à l’étalon du papier monnaie.
Dans une telle situation, on serait tenté de conclure que les créanciers de la banque centrale n’ont plus rien à dire au moment de déterminer le volume de crédit que celle-ci peut accorder (en particulier au gouvernement). Mais non, nous possédons encore une énorme influence : tous et chacun de nous décidons quotidiennement si nous conservons nos euros ou si, au contraire, nous les échangeons avec d’autres choses (y compris d’autres devises). Si la banque centrale élargit beaucoup et de manière très imprudente, il peut arriver qu’une grande partie des créanciers cessent de faire confiance dans la qualité des passifs de la banque centrale et les vendant avec un important escompte : c’est justement l’inflation qui, si elle a lieu sur le marché des devises, est connu sous le nom de dépréciation du taux de change. Si la banque centrale continue dans ce cas de figure à prêter au gouvernement, à la fin sa devise possèdera une valeur insignifiante et ne servira plus pour acquérir dans le pays (puisque les prix auront augment de manière extraordinaire) ni hors de celui-ci (puisque le taux d’échange se sera déprécié à l’extrême). C’est précisément ce qui se passe durant les hyperinflations.
Cette circonstance, l’attitude des possesseurs de devises face à la monétisation de la dette publique, est décisive pour comprendre ses effets disparates. La monétisation est-elle nocive quand elle est réalisée avec la dette d’un État solvable ? Elle l’est dans la même mesure que si le crédit était accordé par une banque privée (c’est-à-dire s’endetter à court terme pour investir à long terme), mais ses effets ne sont pas forcément traumatisants, spécialement à court terme (à moyen terme, ils généreront probablement une crise économique).
Mais que se passe-t-il avec ces opérations quand elles sont destinées à financer des États que les épargnants perçoivent comme insolvables ? Ici, les choses changent, car il est très probable qu’une bonne partie des possesseurs de papier monnaie décideront de s’en débarrasser avec des escomptes significatifs : si une personne ne se fie pas suffisamment dans un État pour ne pas lui acheter sa dette quand il offre, par exemple, un taux d’intérêt annuel de 10%, pour quelles raisons voudra-t-il maintenir son exposition aux passifs d’une banque centrale qui concentre ses investissements dans ces peu fiables titres de dette publique et qui donnent des taux d’intérêt de 0% ?
Il ne semble pas y avoir de motifs suffisamment fondés : si je ne veux pas conserver directement de la dette publique en échange de 10% d’intérêt, je ne voudrais pas plus la conserver indirectement en échange de 0% d’intérêt. Pourquoi quelqu’un va thésauriser du papier monnaie d’une économie en panne et dont le gouvernement ne peut seulement couvrir la majeure partie de ses dépenses qu’en augmentant la quantité de ce papier monnaie et en diluant chaque fois plus sa valeur ? Le plus logique semble bien qu’une partie des créanciers de la banque centrale (des possesseurs d’argent fiduciaire) commencer à se défaire avec un important décompte de leur papier monnaie, généralement en échange de devises étrangères (fuites de capitaux). De fait, contrairement à ce que pourraient penser certains, les États qui conservent une politique monétaire nationale et qui monétisent sans vergogne leurs émissions de dette publique ne sont pas immunisés contre « les marchés » : ce qui change, c’est que dans ces pays les méchants du film ne sont plus les spéculateurs de dette mais bien les spéculateurs de devises.
Ou dit d’une autre façon, étant donné qu’il n’existe pas de perspectives que cette économie génère en suffisance les biens et services futurs pour amortir ses dettes, il y aura aussi de perspectives d’en générer pour satisfaire les éventuelles acquisitions que désireraient effectuer les possesseurs de devises nationale. Les incitants pour demander du papier monnaie (pour le thésauriser dans l’attente de le dépenser dans le futur) se voient donc notablement réduits : les épargnants nationaux se refusent à continuer d’en posséder et les épargnants étrangers ne sont pas disposés à les acquérir sauf au prix d’un important décompte.
En définitive, l’effet le plus immédiat de la monétisation de la dette publique est un avilissement du papier monnaie national : une inflation interne élevée et la dépréciation du taux de change. Maintenant, ces conséquences peuvent être masquées ou compensées dans le cas de la monétisation de dette publique de pays solvables. C’est-à-dire qu’elles peuvent être masquées si, simultanément à la monétisation, on augmente la demande de papier monnaie ou si est réduite l’offre de ses substituts ; phénomènes qui ne se produiront que dans des systèmes économiques que les agents perçoivent comme suffisamment solvables dans leur ensemble que pour honorer leurs dettes. Ou dit en termes plus simples : si la banque centrale augmente ses prêts au gouvernement, l’inflation et la dépréciation de la monnaie seront tolérables ou inappréciables selon que les épargnants privés sont disposer à acheter le nouveau papier monnaie ou que s’évapore une partie des dettes su secteur privé (surtout si ces dettes étaient employées comme moyen de paiement à l’intérieur de l’économie).
Ainsi sont les choses. La question est quels sont les bénéfices que peut apporter la monétisation de la dette publique : d’un côté, si la banque centrale monétise la dette de pays solvables, elle contribuera de façon marginale à ce que l’État soit plus endetté, ce qui est loin d’être une bonne nouvelle. Si, d’un autre côté, elle monétise la dette de pays insolvables, non seulement elle alimentera encore plus l’endettement déjà insoutenable en soi de ces États, mais en plus elle portera préjudice à une partie des citoyens avec une inflation interne et externe ; inflation qui peut se transformer en hyperinflation si la monétisation devient le moyen habituel et presque exclusif de financer l’État.
De tels bénéfices nuls et énormes dangers potentiels peuvent aider à comprendre pourquoi la monétisation directe de la dette publique est interdite dans tout l’Occident : parce qu’on admet que si le secteur privé a été disposé à acheter de la dette publique c’est parce qu’il continue de percevoir l’État émetteur comme solvable, de sorte que la monétisation indirecte garantit qu’on ne prête pas à des gouvernements insolvables (il arrive d’oublier, cependant, que les attentes de monétisation future peuvent générer une demande privée artificielle de titres de dette publique même quand les gouvernements émetteurs sont perçus comme insolvables).
Même ainsi, je vois quatre arguments avec lesquels certains tentent de justifier la monétisation massive de la dette publique. Par ordre décroissant d’absurdité, ceux-ci sont : le premier, qu’un e plus grande dépense publique stimule la création privée de richesse ; le second, que l’inflation et la dépréciation de la devise ont des effets bénéfiques sur le tissu productif ; le troisième, qu’il est indispensable de stabiliser la quantité de moyens de paiement au sein d’une économie ; et quatrièmement, que la monétisation est vue comme un mécanisme exceptionnel pour contrer une méfiance injustifiée – ou une attaque spéculative – de tous les épargnants privée à l’encontre de la dette publique d’un pays fondamentalement solvable. Dans les prochaines semaines, nous tenterons de mettre en lumière les erreurs sous-jacentes de chacun d’eux.
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Traduit de l’espagnol.