Et si la bêtise, l’esprit à courte vue, la brutalité, le fanatisme et la violence s’incarnaient dans la peau d’une créature aussi épaisse et impénétrable que le rhinocéros... Lorsque Ionesco écrit cette pièce en 1958, il pense évidemment au nazisme et à toutes ces formes de totalitarisme ou de massification qui ont marqué (et continuent de marquer) la vie en société.
Comme les animaux malades de la peste de La Fontaine, ces « fauves » (c’est ainsi que les désignent les personnages), n’ont aucune réalité biologique. Ils existent, ils paradent, ils écrasent tout sur leur passage, ils terrifient ou fascinent, et, bien évidemment, ils sont contagieux. On l’a compris, la « rhinocérite » est une épidémie. Les « pachydermes » barrissent et galopent dans tout l’espace scénique, ils prennent de la place, ils prolifèrent, et les uns après les autres, les personnages de la pièce sont atteints. Mr Bœuf, le bien nommé, en est la première victime, tout comme « la grosse Mme Bœuf » qui ne peut pas se passer de son mari.
L’angoisse monte pour le personnage le plus lucide et critique de tous, Bérenger, un anti héros qui constate que même Jean, son ami, beaucoup plus cultivé et intelligent que lui, modèle de sobriété et d’honnêteté, est atteint. Personne ne se méfie, les gens s’habituent, vaquent à leurs occupations, s’abrutissent dans le travail, refusent de voir la réalité en face. Rhinocéros ou non, soucoupes volantes ou non, il faut que le travail soit fait...