Une exception de par ses origines pour commencer, lesquelles datent de l’année 1985, lorsque la LBC était encore l’organe officiel des Forces libanaises. Issue de la droite dure chrétienne libanaise, elle passe sous l’égide de son P-DG, « cheikh » Pierre Daher et finit par se conformer à la nouvelle réglementation des médias libanais mise en place après les accords de Taëf en 1991 et accentue son orientation commerciale. Parallèlement au canal terrestre, une chaîne satellitaire (LBC International) est lancée en 1996. Alors que toutes les chaînes de la région fonctionnent sur un modèle où les pertes financières importent moins que les gains politiques en termes d’influence sur l’opinion, la LBC se distingue aussi en étant sans doute la seule entreprise régionale véritablement privée et profitable. La recette est simple : vendre du « temps de cerveau disponible » aux grandes sociétés actives sur le marché de la consommation arabe en exploitant les atouts libanais à l’échelle régionale. La LBC vend essentiellement de l’entertainment : Star Academy, plateaux people avec des présentateurs et présentatrices jeunes et sexy…
Aujourd’hui, cette étonnante success story est en passe de n’être plus qu’un souvenir. La descente aux enfers a commencé en 2003, lorsque la Kingdom Holding de Waleed ben Talal (qu’on ne présente plus ici) entre, à hauteur de 49 %, dans le capital de la LBC. A l’époque, les commentaires à propos de cette alliance portaient surtout sur les problèmes que pouvait susciter pour le groupe saoudien la ligne éditoriale audacieuse (et même scandaleuse) de la chaîne libanaise. Il y en a eu, à propos de questions religieuses (déclarations d’Adonis au sujet du Coran) et surtout sexuelles (à l’occasion des confessions fracassantes d’un dragueur saoudien). Néanmoins, les conséquences les plus importantes ont eu lieu ailleurs. Inéluctablement, l’arrivée du prince saoudien a en effet conduit au conflit d’intérêt entre, d’un côté, sa propre société, Rotana Media Services, et, de l’autre, Antoine Choueiri, patron de la plus importante régie publicitaire arabe, très proche de la LBC depuis ses origines. Prévisible dès le départ, le désaccord a éclaté en 2007 quand la participation saoudienne dans le capital de la chaîne libanaise est passée à 85 %. En mai 2009, le groupe Choueiri a perdu la régie de la LBC mais il en a conservé beaucoup d’autres. Pour Pierre Daher, les suites de cette rupture ont été plus graves : après l’arrivée de Turki Shabana, un des bras-droit du prince Waleed ben Talal, en 2008, sa mise à l’écart définitive était en quelque sorte programmée. C’est ce qui se passe aujourd’hui. Déjà « sonné » par une décision de justice en novembre 2010 qui lui a fait perdre la chaîne terrestre « récupérée » par les Forces libanaises, l’homme qui a fait le succès de la LBC ne peut s’opposer maintenant à la décision de Rotana qui conserve pour elle seule les studios de Kfaryassine, au nord de Beyrouth. Payés par la PAC (Production & Adquisition Company), également dominé par la Kingdom Holding, les employés de la LBC se verront sans doute proposer de nouveaux contrats, avec de nouvelles conditions. Quant à Pierre Daher, il aurait des propositions du côté d’Abu Dhabi…
La LBC n’est pas la seule entreprise médiatique à connaître des problèmes au Liban. Lancé en 1993 par l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, le groupe Al-Mustaqbal licencie en ce moment près de 300 personnes… Saad Hariri négocierait en Arabie saoudite sa liquidation, pour quelque 5 millions de dollars (article en arabe). Quant à la division « musique » de Rotana, elle a également quitté en 2009 la capitale libanaise. Beyrouth, naguère pôle important à l’échelle arabe, est visiblement sur le déclin. A l’inverse, après ses prises d’intérêt chez Twitter et l’ouverture dans quelques mois de la chaîne Al-Arab, Al-Waleed ben Talal confirme bien que l’actualité médiatique arabe se fait désormais, exclusivement ou presque, dans les pays du Golfe.