Rencontre avec Colette Raynaud
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Colette Raynaud n’est pas une photographe : elle s’en défend et ajoute que la photographie ne l’intéresse pas, qu’elle en est très éloignée. Colette Raynaud est une artiste qui a pratiqué le dessin, la sculpture et qui utilise aujourd’hui, pour des raisons de circonstance, la chambre noire. Ces deux phrases d’introduction suffiront peut-être à faire deviner que l’on ne doit pas s’attendre à cet exercice de reproduction documentaire du réel à quoi l’on cantonne souvent, trop souvent, la photographie et qui la rend souvent, trop souvent, sans valeur esthétique. Des photographies en couleurs de New York par Brassaï, récemment retrouvées, ont provoqué beaucoup de bruit alors qu’il ne s’agissait que de banales photos de vacances, toutes plus plates les unes que les autres, des photos comme celles qui s’entassent par millions dans les boîtes à chaussures de tout un chacun. Mais la signature… Si j’évoque ces clichés dont je ne vois absolument pas ce qui permet de les qualifier d’œuvres d’art, c’est pour rappeler que chaque photographie – contrairement à une peinture ou une sculpture – se doit de prouver en elle- même, intrinsèquement, qu’elle est une œuvre d’art. Les photographies de Colette Raynaud le crient.
Sculpture, dessin ou photographie, quelle que soit la technique, Colette Raynaud dévoile un univers qui lui est propre, où le réel est inventé, où le végétal, l’animal et la chimère se fondent, où la métamorphose se déroule sous nos yeux, constamment, tant ce qui est vu n’est jamais ce qui est représenté. « Je suis une idée et je la développe comme je peux. Le médium n’est pas prioritaire. » Cependant, les diverses techniques utilisées se répondent. « Tout est assez proche. En sculpture, je suis partie du moulage avec un positif et un négatif. Quand je faisais du dessin, je recouvrais entièrement la feuille, de grand format, avec diverses couleurs puis j’incisais le papier avec des pointes sèches comme pour une gravure et enfin je retirais entièrement les couleurs à l’aide d’une pierre ponce qui donnait un effet brillant évoquant la fresque. En photographie, toutes les images sont en négatif, puisque je n’utilise pas d’appareil photographique. Tous les travaux que j’ai faits jusqu’ici sont des projections directes sur une surface sensible, en l’occurrence du papier. »
Sur les feuilles, on voit, en noir et blanc, des jeux d’ombres et de lumières qui dessinent des formes. On peut jouer – « serioludere », disaient les humanistes, jouer sérieusement – à identifier ces formes. Un réaliste verra des lichens. Un rêveur sera sûr d’avoir décelé un cerf avec ses bois. Tel autre se demandera dans quel coin du globe habite ce monstre effrayant. Tel autre se dira qu’il est bon que les insectes n’aient pas cette taille. Tel autre décèlera cet animal fantastique qui existe, à n’en pas douter, dans les méandres du cerveau. Colette Raynaud dit simplement qu’elle crée un univers fantastique, chimérique. « Ce qui m’intéresse, c’est la fiction, mon musée imaginaire. Je joue d’une valeur ajoutée du réel. » Quand on lui parle de réel, elle affirme ne pas s’en préoccuper, si bien que ces œuvres peuvent apparaître comme les traces tangibles de l’inconscient, le dévoilement patient, ordonné, serein d’un monde fantasmatique que seul le travail artistique, esthétique permet de donner à voir. « Mon réel, c’est un monde imaginaire que je bâtis, que je crée et dans lequel chacun peut voir ce qu’il veut. Ce qui m’intéresse, c’est la fiction. »
Quel est l’objet de cette fiction ? Quels éléments palpables sont utilisés pour créer cet univers singulier ? Colette Raynaud utilise des fragments de plantes, mousses, lichens, graines, feuilles, fleurs… Elle se passionne pour le monde végétal. « Si je n’avais pas été attirée par l’art, j’aurais pu être fleuriste ou horticultrice. » Mais il ne s’agit pas d’établir un lien avec la nature et encore moins de défendre une idée de la nature. « J’aime la nature, mais ce n’est pas mon problème. Je suis tout aussi heureuse devant un pot de fleurs que dans un bois. J’aime aussi la nature urbaine, le brin d’herbe poussé sur le trottoir ou le géranium d’un balcon. » Pour notre artiste-fleuriste, le monde végétal fournit une matière première idéale. « Je garde le souvenir de mes années de sculpture aux Beaux-Arts. Le végétal est un matériel en volume facile à transformer. On peut le modifier comme on veut. On peut le tordre, le couper, le sécher ou l’humidifier à nouveau. On peut lui faire prendre toutes les formes désirées. » La préparation du morceau de lichen, par exemple, qui sera posé sur la surface sensible est déjà une petite création artistique. Avant de s’enfermer dans la chambre noire, Colette Raynaud se fait peintre. « N’ayant pas de négatif, je ne peux pas jouer sur les valeurs. Je suis obligée de tricher. Avec un pinceau 00 et de la gouache, je peins en blanc les parties que je veux toutes noires. J’obtiens des nuances de gris avec du rouge ou du vert. J’affine les détails, notamment avec les nervures. »
Bien sûr, il ne suffit pas d’ouvrir les portes de l’imaginaire ou de jouer de prouesses de ciselure pour que les œuvres soient dignes d’intérêt. Chaque image frappe par sa force esthétique, par la maîtrise parfaite du cadrage, des jeux d’ombres et de lumière, par la richesse d’un univers unique. Que ce soient les photographies plus anciennes avec un fond noir qui donne une vertigineuse profondeur, ou celles exposées récemment à la galerie Satellite, dont le fond est un jeu avec le motif qui va jusqu’à la réalisation de papier peint, le travail de Colette Raynaud se révèle d’une grande cohérence. Comme dans la musique sérielle, de petites variations relancent le mouvement, créent une belle harmonie.
Franck Delorieux