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Avant Première : Les nouveaux chiens de garde

Par Memoiredeurope @echternach

Avant Première : Les nouveaux chiens de garde

Je suis resté sans poste de télévision pendant quinze années. J’ai vécu pendant la même période dans un village dont la seule salle de cinéma ouvrait en week-end pour présenter des films américains qui avaient tenu l’affiche depuis des mois dans le monde entier. Heureusement j’ai voyagé et capturé des images et des médias ici ou là. Revenir habiter à Strasbourg aujourd'hui de manière quasi permanente change la donne. Je vais m’équiper du câble, acheter une télévision numérique et je dispose d’au moins trois salles de cinéma engagées qui m’offrent chaque semaine suffisamment d’inédits pour que je puisse me rendre au cinéma au moins deux fois par jour et participer à des débats ou à des avant premières. A tout le moins il faut que je revienne à la théorie de l’image et à l’analyse des médias pour savoir me défendre et ne pas oublier les livres.

Voilà l’occasion : Ce lundi soir, avant sa sortie officielle, le rédacteur en chef adjoint du Monde Diplomatique Renaud Lambert est venu présenter ce qu’il faut bien nommer un documentaire militant pour lequel l’équipe du journal est plus qu’impliquée dans l’écriture du scénario puisqu’il est fondé sur un ouvrage de Serge Halimi paru juste au moment ou je m’installai au Luxembourg.

Comme on voit j’ai du temps à rattraper !

Il s’est agi pour moi d’un vrai recyclage avec en plus le bénéfice du rire dans une salle pratiquement toute acquise aux idées alternatives, au journalisme le plus indépendant possible et dont une partie du public est suffisamment âgée pour se souvenir de cette merveilleuse interview bien écrite que le ministre de l’information Alain Peyrefitte avait dictée à Léon Zitrone le 20 avril 1963 pour lui expliquer comment il allait réformer le contenu et la manière d’être du journal  télévisé.

Tout part de là, de cette scène fondatrice…et tout y retourne. Tel est l’argument principal de ce film en quatre chapitres qui illustrent et expliquent la révérence des journalistes vedettes envers le pouvoir ou plutôt envers les élus qui l’incarnent, la force des groupes industriels qui détiennent le capital des grands et des petits medias, la marchandisation du papier et de l’écran et enfin la proximité de plus en plus forte entre tous les acteurs de ce petit monde qui se déplacent dans le cadre doré oú ils viennent tous s’inscrire. Une situation que la domination des images sans mémoire rend parfaitement diabolique, mais dont Pierre Bourdieu avait déjà opéré l’analyse sociologique, tandis qu’il y a quelques années Paul Nizan en dénonçait les germes, dans son époque, devant le monde intellectuel des années 30 du siècle dernier, mais dont Balzac, voire Jean-Jacques Rousseau avaient eux mêmes souffert et qu’ils ont mise en scène.

A partir du télescopage virtuose d’archives visuelles qui présentent quelques merveilleuses déclarations en direct à couper au couteau : flagorneries en tous genres de journalistes adressées à leurs patrons ou à leurs élus préférés – parfois leurs compagnons de vie, retournements de vestes des libertaires venus à la laudatio aveugle de l’économie de marché comme s'il s'agissait là de la vraie liberté, changements d’idéologies à angle plat et à justifications tièdes, faux débats entre compères de foire, musiques lancinante de la communication répétitive sur la résistance inépuisable du libéralisme à toutes les crises et sur la condamnation des citoyens français rétifs aux changements et aux réformes…

La nausée vient avec le rire. Rien qu’on ne sache déjà, mais sans y accéder à ce point par le jeu de l’accumulation et par le plaisir du dessin animé qui renvoie les acteurs – journalistes choisis, à un statut de marionnettes conscientes de l’être.

Avant Première : Les nouveaux chiens de garde

Plein d’une mauvaise foi roborative, les scénaristes et les producteurs qui ont réussi à financer un film qui va leur coûter cher, profitent avec jubilation d’une situation ou ils peuvent enfin se venger. Ils en profitent et je dois dire qu’on les comprend. Gilles Balbastre travaille non seulement au Monde Diplomatique mais aussi au Plan B tandis que Yannick Kergoat sévit au sein d’Acrimed.

Dans le salle du Star Saint-Exupéry on a ce soir refusé du monde. Les questions étaient nombreuses et pertinentes. Je suis heureux de retrouver une ville dont les étudiants lisent et s’enflamment, dont les adultes militent et dont les retraités viennent s’indigner avec de plus jeunes qu’eux chaque mercredi au centre ville. Tous, ce soir, sont venus jouer, grâce à ce film, à un jeu de massacre dans lequel les têtes de bois des gourous à renverser se nomment Alain Minc, Michel Fields, Alain Duhamel, Christine Ockrent, Anne Sinclair, Luc Ferry, Jacques Julliard…et la quarantaine de complices qui se partagent avec eux les prébendes.

Ils sont vraiment de mauvaise foi, mais ils doivent faire face à un tel cynisme béat qu’ils ont raison de frapper fort. Qui en effet a lu l’édito d’un industriel, Serge Dassault le 1er janvier à la une du Figaro sans être frappé par la confusion des genres : « Seul celui qui ne s’est pas encore déclaré, parce que encore président, sera crédible, car il est le seul à demander la mise en place immédiate de la règle d’or ; le seul à bien connaître notre situation financière ; le seul à pouvoir la régler par des mesures appropriées ; le seul à mettre en place les moyens nécessaires pour relancer notre croissance et réduire le chômage. Lui seul pourra sauver la France et les Français de la faillite ! Voilà le voeu que je forme pour la France et pour vous ».

Journaliste, Président ou Propriétaire ?

Et en contrepoint Paul Nizan, il y a 80 ans ?

« Monsieur Michelin doit faire croire qu'il ne fabrique des pneus que pour donner du travail à des ouvriers qui mourraient sans lui. »

 Vous avez dit « lutte des classes ? »

Photographies : Tout le monde aura reconnu Alain Peyrefitte. Quant à la photographie de groupe on laissera aux lecteurs français apprécier et sourire en pensant à la situation de l'audiovisuel national à l'étranger.

   

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