Ce que Marianne a dit
Carla Bruni-Sarkozy aurait fait verser 3,5 millions de dollars à des sociétés de l'un de ses amis par le Fonds mondial de lutte contre le sida. C'est ce qu'affirme, preuves à l'appui, Frédéric Martel sur le site de Marianne2, puis dans les colonnes de l'hebdomadaire (édition du 7 janvier). L'épouse du chef de l'Etat avait créé sa Fondation en 2009, hébergée par la Fondation de France.
« Carla Bruni-Sarkozy, révèle Marianne, est au centre d’un scandale international de grande ampleur : 3,5 millions de dollars ont été versés par le Fonds mondial de lutte contre le sida, en marge de la légalité, et sans appel d’offre, à la demande de la première Dame, à plusieurs sociétés d’un de ses amis. » Cet ami si chanceux s'appelle Julien Civange. Frédéric Martel le présente comme musicien, chef d'entreprise, témoin de mariage et « principal conseiller de Carla Bruni-Sarkozy ». Il a même un bureau à l'Elysée. C'est plus commode.
Assez vite, quelques traditionnels sceptiques ou jaloux maugréèrent ici ou là. Mais le plus surprenant fut l'extrême célérité de l'accusée à répondre dès le samedi matin, et surtout, ce qu'elle n'a pas démenti.
Ce que Carla Bruni n'a pas démenti
Qu'en était-il ? Voici un résumé de ce qu'avance Frédéric Martel pour Marianne, et les réponses de Carla Bruni et du Fonds mondial contre le Sida.
1. En mai 2010, Carla Bruni-Sarkozy a lancé une campagne de sensibilisation contre la contamination mère/enfant. Le slogan était Born HIV Free. Frédéric Martel révèle que c'est en fait une marque déposée en bonne et due forme par Julien Civange (via une société privée RH et Cie). Une société opportunément créée par M. Civange... en août 2010, quelques semaines après le lancement de la campagne. En décembre 2010, Julien Civange expliquait le sens de cette campagne qui, au final, a coûté 6 millions de dollars d'après les déclarations de Michel Kazatchkine à Frédéric Martel. Le Fonds Mondial contre le Sida a aussi payé Mars Browsers, une autre société de Julien Civange, pour l'opération .
2. Le même Julien Civange a conçu le site internet de la Fondation Carla Bruni-Sarkozy, mis en ligne en octobre 2009. Cette prestation lui aurait été payée par la Fondation et par le Fonds Mondial contre le Sida. Samedi dernier, le Fonds a confirmé avoir apporté son soutien «à une page du site Carlabrunisarkozy.org» et avoir pris en charge « les coûts liés aux déplacements de Mme Bruni-Sarkozy, effectués dans le cadre de ses activités pour le Fonds ».
3. D'après Frédéric Martel, un audit du Fonds Mondial contre le Sida réalisé en novembre 2011 a conclu que « des sommes conséquentes ont été également versées en France par le Fonds Mondial en faveur des actions philantropiques de Carla Bruni-Sarkozy et de plusieurs agences appartenant à l'un de ses proches.» Martel ajoute que l'attribution de ces subventions a été réalisée « sans appel d'offres ». Le montant avancé sur l'ensemble de ces contrats ? 3,5 millions de dollars, soit 2,7 millions d'euros. Ces commandes sont financées par de l'argent public puisque le Fonds Mondial contre le Sida vit de subventions des Etats Unis (environ 1 milliard de dollars par an) et de la France (360 millions d'euros.
4. Le bénéficiaire principal de ces commandes publiques, d'après Frédéric Martel, est Julien Civange. Le directeur général du Fonds, Michel Kazatchkine, a justifié le choix de Julien Civange, un proche de Carla Bruni: « Carla Bruni m'a personnellement dit qu'elle avait totalement confiance en Julien Civange auquel elle avait délégué le dossier du sida ». Précisons, à ce stade, ce qu'on appelle communément un conflit d'intérêt: « un conflit d'intérêts apparaît quand un individu ou une organisation est impliquée dans de multiples intérêts, l'un d'eux pouvant corrompre la motivation à agir sur les autres. » (Wikipédia). Civange est un proche de Carla Bruni. Cette dernière demande au directeur du fonds public de lutte contre le sida de lui confier l'une de ses commandes, sans appel d'offre.
5. En novembre 2011, à la suite de ces révélations (cf. point 3 ci-dessus), certains administrateurs du Fonds mondial contre le sida ont réclamé la démission de son directeur Kazatchkine. Ce dernier quittera son poste fin mai 2012, après la présidentielle. Il a confirmé son éviction samedi dernier alors qu'il venait d'être renouvelé pour 3 ans début 2011.
6. Le représentant de la France, l'ambassadeur Patrice Debré avait alerté sa hiérarchie des conclusions de l'audit. Il a été démis de ses fonctions. Nicolas Sarkozy le remplace par une diplomate.
7. Le Fonds mondial contre le Sida a déjà dû réagir contre des accusations de détournements de ses subventions. En janvier 2011, il rappelait ainsi que « dans son rapport publié l’année dernière, l’Inspecteur général du Fonds mondial faisait état de graves malversations dans quatre des 145 pays bénéficiaires de subventions du Fonds. Ces constatations ont entraîné des mesures immédiates à Djibouti, au Mali, en Mauritanie et en Zambie en vue de récupérer les fonds détournés et d’empêcher, à l’avenir, tout usage abusif de l’argent des subventions. »
8. Les comptes de la Fondation Bruni-Sarkozy ne sont toujours pas publics, plus de deux ans après sa création. Frédéric Martel (par excès d'indulgence ?) justifia la discrétion: la fondation Bruni n'aurait pas d'existence car elle est hébergée par la Fondation de France. Et bien non ! « La Fondation a bel et bien une comptabilité propre, consolidée in fine à la Fondation de France ». Si la fondation Sarkozy ne publie pas ses comptes, c'est donc par pur souci... d'opacité.
9. Enfin, le plus surprenant dans les réponses à l'enquête de Frédéric Martel fut la réaction de Carla Bruni-Sarkozy elle-même. Elle fut rapide, dès samedi, mais pour ne pas démentir grand chose malgré la longueur du communiqué de presse: Carla Bruni réfuta d'abord tout financement public (« L’insinuation selon laquelle des fonds auraient été levés auprès de partenaires publics est entièrement infondée. (...) Aucun argent public n’a jamais été reçu par la Fondation ») Ce n'était pas l'accusation de Marianne. L'hebdomadaire n'affirmait pas que la Fondation avait été financée directement par des fonds publics. La précision, très juridique, avait son importance.
10. Ensuite, Carla Bruni dédia la moitié de sa longue réponse à justifier son action contre l'illetrisme. Rien sur le Sida, pas un mot, alors qu'elle est visuellement très impliquée.