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Les croix de bois, de Roland Dorgelès

Publié le 08 janvier 2012 par Egea

Écrit-on encore une fiche de lecture sur un des plus grands romans sur la première guerre mondiale ? Est-ce d’ailleurs le bon mot : fiche de lecture ?

Peu importe, au fond.

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L'avais-je lu, autrefois, quand j'étais adolescent et qu'il était au programme ? je le crois, mais les souvenirs s'estompent, une autre expérience est passée qui altère les perceptions, et c'est finalement une grâce que de recevoir, des années après, de telles émotions de lecture. Car il y a là-dedans un mélange de véracité, d'humanité et d'écriture qui donnent des pages authentiques et toujours présentes. De là vient probablement le succès du livre : chacun des combattants, sans doute, a reconnu son expérience de soldat et la terrible expérience que furent les tranchées.

On imagine mal les conditions horribles de ces pauvres soldats : pas seulement au moment des combats les plus féroces, dont la progression funèbre augmente à mesure que les pages se succèdent, mais les conditions de vie, extrêmement dégradées, que ce soit pour l'alimentation, l'hygiène, le logement.... L'inconfort règne, dans une proportion tellement insensée qu'on a du mal à concevoir aujourd'hui qu'elle ait pu être supportée.

On y voit la rugueuse camaraderie de soldats, qui rend l'expression "fraternité d'armes" incompréhensible pour qui n'a pas, un jour, "sué sous le burnous". On y voit cet assemblage hétéroclite d'humbles, de vous et moi, de quelconques qui pourtant prennent rapidement une personnalité si attachante qu'on se prend d'affection pour eux, oubliant sans oublier ceux qui disparaissent au long des lignes qui progressent : lignes d'écriture, lignes de tranchées, lignes d'attaque, elle montrent à la fois la vie qui s'accroche et la mort qui vainc, le plus souvent, et ôte les âmes parfois brusquement, parfois au bout de longues agonies dans la nuit pluvieuse où les larmes se confondent aux gouttes et la pluie au sang.

Le front est étendu, en largeur mais aussi en profondeur, et le livre rend cette progression subtilement géographique qui mène du crépitement des tranchées aux batteries d'artillerie, des roulantes et échelons logistiques aux zones intermédiaires où œuvrent les territoriaux, des postes de secours aux zones vraiment abritées, où la compagnie décimée, au sens propre, défile raidie dans sa boue et son sang, fière des cent mètres qu'elle a gagnés dans la mêlée furieuse, et encore plus fière d'en être revenue, défilé sous l'admiration apeurée des bleus au garde-à- vous et les compassions horrifiées des quelques péquins voyant ces ombres sortir de l'enfer. Les escouades sont commandées par des caporaux, les sections par des sergents, les compagnies par des lieutenants et la masse encore compacte tient son poste au parapet de la tranchée et grimpe au talus lorsqu'il faut partir à l'assaut, et courir dans ce champ de tir découvert où pleuvent les marmites et les fusées.

Horreur ! souffrance ! et pourtant, humanité, et sublime et humble gloire des poilus de 14 jusqu'à 18, nos grands-pères qui ont "fait" cette guerre et dont il ne reste, désormais, que de pâles souvenirs : tel cimetière, tel village disparu dans la Marne ou la Meuse, telle fourragère de régiment dont on ne comprend pas trop la signification, et tant de monuments aux morts, humbles arcs de triomphe moins triomphants que celui de l’Étoile, mais qui en disent finalement bien plus que le grand machin, là-haut, sur sa colline, heureusement sanctifié par le soldat inconnu qui veille, dessous, dans la terre, là où lui comme ses compères se terraient pour tenir face à l'ennemi et à l'adversité.

Il est peut-être un peu tôt : le centenaire de 14 n'aura lieu que dans deux ans. Mais il est justement temps de relire tranquillement et dès maintenant ces "Croix de bois", quand ça n'est pas encore la mode et que les médias regardent ailleurs.

O. Kempf


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