Il y a quelques jours, je me remémorais ces morts d’Albert Camus extraits du vent à Djémila : « On vit avec quelques idées familières. Deux ou trois. Au hasard des mondes et des hommes rencontrés, on les polit, on les transforme. Il faut dix ans pour avoir une idée bien à soi – dont on puisse parler. » J’ai réalisé alors que je n’avais eu qu’une seule idée dans ma vie. Cette intuition de mes quinze ans que le mérite n’existe pas. Ce pilier de la société qui conditionne la respectabilité d’un individu et sa rétribution financière n’est qu’une vaste loterie. Peu importe la volonté et l’entêtement que nous mettons à atteindre un but. La réalisation ou non d’un avenir brillant se situe en dehors du mérite.
Pendant que je réfléchissais à ces notions d’intelligence, d’innée, d’acquis, de déterminisme, il se pourrait que j’aie eu la deuxième idée de ma vie : La notion d’intelligence elle-même ne serait-elle pas relative dans la durée, selon une courbe sinusoïdale ?
Il y a plusieurs manières de définir l’intelligence : L’aptitude à résoudre des problèmes mathématiques, à mémoriser des informations ou encore la capacité à prendre des décisions complexes en intégrant tous les aspects d’un problème. J’adopterais la définition la plus large, qui inclut la manière dont on se comporte avec les autres et dont on peut tendre vers le bonheur.
Quelle que soit la définition que l’on prend, il me semble que l’intelligence est très variable en fonction de l’instant, de notre humeur, du temps et de notre fatigue. Je peux avoir un moment de grâce où ma conversation sera spirituelle et réfléchie. Deux jours plus tard, je peux me comporter comme un imbécile ou un footballeur en présence d’une jolie femme dans un groupe. J’ai déjà blessé des amis et des proches par négligence, pour lancer un bon mot ou parce que je voulais avoir le dernier mot. Avec un peu de recul et de lucidité, j’ai réalisé que je m’étais engagé dans une série d’actions aux antipodes de l’intelligence. (C’est un euphémisme pour dire que j’ai été très con. J’ai écouté une émission sur la langue de bois des politiques ce matin, cela a fini par m’inspirer).
J’ai observé la même chose avec mes amis et mes collègues. Mes élèves peuvent sortir des remarques extraordinairement pertinentes. Je suis souvent impressionné par leurs intuitions et la minute suivante ils se chamaillent pour une histoire de gomme ou parce que le voisin empiète un peu sur leur moitié de la table.
Comment mesurer l’intelligence alors ? Doit-on mesurer l’intelligence sur ces périodes hautes ? Suis-je quelqu’un de bien parce qu’il m’arrive d’être généreux et spirituel ? Ou alors, doit-on juger quelqu’un au seuil de ses bassesses ? Peut-on juger Jean-Louis Murat en fonction de ses interventions télévisées ? Je dirais qu’on fait tous une sorte de moyenne. Nous avons tous des bons et des mauvais côtés et je définirais un ami par ce qui l’emporte à mes yeux : « Il est bon en maths, mais c’est un vrai con. » « Il est râleur mais on peut compter sur lui. » J’en déduis qu’il faut du temps pour connaître une personne et se faire une idée de son intelligence, comme il faut plusieurs cycles pour mesurer une courbe sinusoïdale. Puissent ceux qui m’ont connu dans mes phases les plus bêtes me pardonner.
Le Grand Khan est en période basse., posted with vodpodP.S.: J’ai réalisé que je fêtais cette semaine le 50e épisode des dimanches de la philosophie. J’en profite pour saluer mes fidèles lectrices d’autrefois, Émilie et Anna à qui je souhaite mes meilleurs vœux.