Au fort de l’été, chez nous, paraissent, les jours d’orage, de grands vols de moucherons. Ce sont de très petites bêtes. Ailes repliées, au repos, elles sont minces, linéraires comme un point d’exclamation.
On les voit mal : on les sent. Elles se collent sur les fronts moites, elles rampent sur les bras nus des travailleurs et des enfants, elles s’aventurent dans les oreilles, viennent se noyer dans les yeux, se livrent, sur ma page blanche, à des entretiens galants. Elles tourmentent la grand’mère qui sommeille dans son fauteuil et, pour une minute, elles l’arrachent à l’abîme des souvenirs.
Après toute une soirée d’amour et de taquinerie, nos petites mouches songent à la mort. Comme les hommes de l’ancienne Egypte, comme les hommes de tous les temps, elles éprouvent le désir d’une sépulture paisible, où leur dépouille attendra la fin de l’éternité.
Alors, consumant leur force dernière, ces petites mouches d’été pénètrent en des lieux d’où les êtres de leur espèce semblent, le plus souvent, bannis.
Elles se glissent entre les pages de mes cahiers, sous les papiers de tentures, dans notre livre de raison que nous cachons pourtant si bien au fond de la bibliothèque. Les plus hardies, les plus adroites, s’introduisent entre le verre et les gravures qui sont pendus à la muraille. Et c’est là que la mort les prend.
J’en découvre chaque jour dans le dictionnaire de Littré qu’elles ornent malicieusement d’une ponctuation fantaisiste. Il y en a sur les portraits. Je n’oserais pas affirmer qu’il ne s’en trouve pas quelques-unes entre les plis de mes pensées.
Georges Duhamel (1884-1966).
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