Le clou du spectacle fut ce 600ème anniversaire de Jeanne d'Arc. Un machin incroyable qui clôturait une semaine riche en voeux et en polémiques.
On ne connaît pas avec certitude la date ni même l'année de naissance de Jeanne d'Arc. Un site catholique s'en inquiétait encore cette semaine. Mais Nicolas Sarkozy a l'habitude des hommages hors date. Il nous avait fait le coup l'an dernier avec le 100ème anniversaire de Georges Pompidou, célébré en grandes pompes... hors date.
Ce vendredi 6 janvier, jour de l'épiphanie, Nicolas Sarkozy n'était plus tout à fait le président d'une République laïque. Jeanne la Pucelle est bien sûr un symbole national qu'il est très opportun de célébrer à 107 jours du scrutin présidentiel. Elle eut d'ailleurs sa plaque commémorative à la mairie de Domrémy-la-Pucelle, puisqu'elle est devenue «l'incarnation des plus belles vertus françaises, du patriotisme », dixit notre Monarque.
Mais ce dernier avait aussi choisi de se recueillir seul dans l'église du village natal de Jeanne d'Arc. Le 22 décembre dernier déjà, il s'était distingué d'un dîner avec de jeunes prêtres catholiques, largement relayé par le Figaro.Nous fûmes fascinés par ce besoin soudain de générosité chrétienne. En janvier 2008, Nicolas Sarkozy expliquait certes déjà que « L'instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé ». Mais durant l'été 2010, sa traque des Roms - ces gens du voyage souvent chrétien - avait heurté par son outrance indigne la quasi-totalité de la hiérarchie catholique. Depuis, le rétropédalage sarkozyen fut massif, les courbettes nombreuses.
Pour honorer Jeanne d'Arc, Sarkozy eut des grands mots, mais il était là pour de petites raisons : «Puissions-nous aussi continuer à penser à elle comme le symbole de
notre unité et ne pas la laisser entre les mains de ceux qui voudraient
s'en servir pour diviser.» Il ne pensait qu'au Front National. Il était accompagné de Gérard Longuet, ce ministre qui s'interrogeait sur le « corps traditionnel français », et de Patrick Buisson, son conseiller ès extrême droite si féru d'histoire. « En cette froide journée de janvier 1412, alors que la Meuse était prise
par les glaces, une humble famille de laboureurs fêtait la naissance
d'un cinquième enfant »... Buisson avait préparé un discours si lyrique... Sarkozy put évoquer Charles VI « emprisonné dans sa folie », « les voix de Jeanne », ou encore « la petite paysanne illettrée ».
Le lendemain, ce samedi, la frontiste Marine Le Pen s'exhibait à son tour. Jeanne d'Arc était un hochet à disputes.
La semaine avait presque bien commencé. Dimanche 1er janvier, Nicolas Sarkozy avait filé à Metz. Pour ses derniers voeux de mandature le Jour de l'An, il voulait éviter les photos sous les dorures élyséennes. A Metz, il annonça la TVA sociale (c'est-à-dire une augmentation de trois ou quatre points d'une TVA déjà à 19,6% en contrepartie d'une réduction des cotisations patronales). Enfin, presque. Vu le tollé et l'actualité sociale déjà chargée, ses perroquets expliquèrent deux jours plus tard que cette TVA anti-délocalisation n'était qu'une hypothèse de travail. Puis, mercredi, François Fillon assura que la mesure serait votée dès le mois prochain. Il parlait à un colloque sobrement dédié au « Nouveau Monde ». La chose était organisée par un sarkozyste pur jus... un certain Eric Besson.
Lundi, Nicolas Sarkozy avait un agenda officiel vide. Il aime se garder de la souplesse pour réagir. En début de journée, il lâcha à la presse qu'il avait convoqué une énorme réunion de travail avec un quart de son gouvernement pour « sauver » les emplois de Seafrance. Sarko le Zorro était de retour ! A l'issue de cet improbable meeting, notre Monarque avait la solution. Le transporteur maritime était en liquidation depuis la mi-novembre. Mais Nicolas Sarkozy avait choisi la veille d'une audition au tribunal de commerce pour se saisir du problème. Il demanda officiellement à la SNCF de prévoir de grosses indemnités de licenciement aux 880 salariés avant de liquider l'entreprise, afin que ces derniers puissent placer leur pécule de départ dans la SCOP proposée par quelques syndicalistes. Trois jours avant, son ministre des Transports Thierry Mariani expliquait que ce projet de SCOP n'était pas crédible... Mariani était énervé. Non seulement désavoué, il devait partir en fin de semaine en Chine pour labourer sa future circonscription de député des Français de l'étranger du coin.
Bref, le lendemain mardi, les porteurs du projet de SCOP refusèrent bien officiellement la proposition sarkozyenne qui n'était qu'un piège si grossier. Le même jour, Nicolas Sarkozy pensait déjà à autre chose. Il livrait ses voeux aux Armées, en se montrant dans une école navale de Bretagne, photographié les cheveux au vent secoués par les embrunts. Devant les militaires, Nicolas Sarkozy sombra dans un narcissisme assez habituel, en comparant ses décisions aux combats militaires: « Ce poids de la décision, je le porte... comme vous porterez vous-même l'angoisse du combat ».
Deux jours après, un nouveau scandale troublait ce beau discours officiel. Quelques extraits d'un témoignage d'un terroriste d'Aqmi, la « filiale » d'Al Qaeda au Maghreb, recueilli en novembre dernier était publié par Libération. Ce dernier assura que l'un des deux otages français « a péri brûlé dans le 4x4, qui transportait de l'essence, à la suite des tirs qui l'ont touché. » La famille de l'un des décédés comprit que les soldats français, lors de la tentative de libération des deux otages français capturés au Niger, avaient reçu l'instruction de tuer les preneurs d'otages. Pas de sauver les otages. Nicolas Sarkozy avait donc fait son « devoir ». On eut la nausée. L'élection était-elle à ce prix ?
Lundi, le même quotidien Libération avait rappelé pourquoi Nicolas Sarkozy était bien évidemment au courant du montage fiscal mis en place pour assurer la déductibilité des commissions versées lors de la vente de sous-marins au Pakistan en 1994. Le Karachigate n'était pas terminé. Vendredi, une curieuse ristourne fiscale accordée en 2005 par un autre ministre du budget dénommé Jean-François Copé à un heureux contribuable grâce à l'intervention de Ziad Takieddine, ami de Copé, et « qui lui aurait été demandée par Nicolas Bazire » intéresse la police judiciaire. Fichtre ! Le Karachigate a permis de dévoiler d'incroyables relations... Samedi, l'hebdomadaire Marianne publiait une enquête de Frédéric Martel sur les curieuses largesses financières de Carla Bruni-Sarkozy avec des fonds de la lutte contre le sida en faveur de l'un de ses amis... On s'intéressa aussi, enfin et à nouveau, à Guy Wildenstein, un proche ami de Nicolas Sarkozy objet de nombreuses attentions judiciaires.
Cette semaine, le candidat Sarkozy lâcha enfin quelques promesses, lors de ses voeux au monde de l'Education. La veille, ses sbires s'étaient déchaînés contre François Hollande, prétextant des propos que le candidat aurait tenus en off, mais démentis par le journaliste auteur de la fuite. L'espace d'une semaine, Nadine Morano était devenue une star. Nombre de ministres passaient visiblement plus de temps à Tweeter qu'à bosser.
Aux enseignants, Sarkozy promit mercredi la réduction des moyens, la suppression du collège unique (avec moins de moyens ?) et une meilleure intégration de l'enseignement secondaire ... avec le monde de l'entreprise. Le candidat tentait d'imposer ses thèmes de campagne plutôt que de se voir imposer l'examen de son bilan. Il eut cette phrase malheureuse: « La plus grande des inégalités ne réside pas dans les écarts de richesse ».
Sarkozy reparla aussi de la taxe sur les transactions financières. A 107 jours du scrutin, Nicolas Sarkozy s'est dit qu'il était temps de la faire voter en France, même si ses partenaires européens ne suivaient pas. Il avait enfin mesuré la pauvreté de son bilan au G20.
Vendredi soir, il clôturait le colloque du Nouveau Monde: « la France doit anticiper les transformations du monde ».
Ami sarkozyste, tiens bon. Plus que 105 jours !