Ce qu'il y a de bien avec les voyages, c'est qu'il n'y a jamais vraiment besoin de savoir où l'on va. Un fois déterminé son point de départ, il suffit de s'y rendre par n’importe quel moyen de transport et de laisser ensuite tout ce qui nous entoure faire le reste. Dans ces univers où tout est à découvrir (à ressentir), il se passe forcement quelque chose qui, tôt ou tard, trace une route, indique une direction et, au final, impose sa propre logique.
En voyage, c'est en se perdant que l'on trouve le mieux son chemin…
Il est pourtant un endroit dans cette ville où, à l'inverse, les distances correspondent à de simples jets de pierre, où traverser la rue ne donne pas l'impression de participer à un marathon et où tout reprend
Pénétrer dans ce quartier d'un autre âge, c'est effectuer un brusque retour en arrière. Dans ce dédale labyrinthique se dessine, à chaque instant, un kaléidoscope de scènes paraissant sorties d'une époque révolue : vélos rouillés slalomant habilement au milieu de la foule, charrettes fatiguées et chargées à ras-bord de cartons,
Car tout autour, la ville moderne cannibalise inexorablement l'espace, grignotant un à un des pans entiers du vieux quartier. En rénovation progressive (Mac Do et Starbucks sont déjà là), la vieille ville chinoise disparaît peu à peu, avalée par l'avancée inexorable des tours de bétons. Oh, pas les magnifiques gratte-ciel de la ville nouvelle (de l'autre cote du fleuve), dont l'ultra-modernisme et la créativité ne sont pas dénués d'intérêt. Non, ici, ce sont des tours grisâtres et uniformes, blocs HLM dupliqués à l'identique qui, tels des géants, semblent piétiner une à une les vieilles maisons dont ils prennent la place.
On déambule dans cette zone encore préservée comme au milieu des ultimes vestiges d'un monde qui s'apprête à être englouti, d'une population jouant jusqu'a l'ultime instant ses scènes millénaires avant d'être relogée dans une quelconque banlieue lointaine, comme celles aperçues sur la route de l'aéroport. Ne subsistera alors que ces boutiques sagement alignées, ces avenues reconstituées d'une Chine ancienne idéalisée, ce Montmartre local plutôt bien pensé mais dépouillé de toute authenticité, cette façade dorée d'un vieux Shanghai disneylandisé...
En vagabondant dans ces vieilles rues, on aurait simplement envie de prendre un pinceau pour figer, tant bien que mal, un ultime regard sur ce qui va bientôt disparaitre...
Dans ces vapeurs nostalgique - renforcées par la grisaille surréaliste qui recouvre la ville - on trouve encore d'autres merveilles propre à ensorceler tout voyageur en quête de rêverie. Il y a d'abord le jardins Yu, lové au coeur de la vieille cité comme un îlot d'harmonie au milieu du chaos des rues animées. Représentant le monde en miniature, il offre au visiteur une succession de mini jardins, quasiment indépendants les uns des autres, qui se succèdent comme autant de tableaux poétiques d'une Chine tout droit sortie de vieilles estampes.
Le temps de reprendre ses esprits, on abouti quelques minutes plus tard du côté du marché aux puces, pas très grand mais offrant, là encore, un concentré de vestiges qui, pour être en grande partie des copies, n'en constituent pas moins de beaux tremplins pour l'imaginaire : vieux bouliers dans leur étui de cuir, statuettes d'empereur en bronze, Mah-jong poussiéreux dans leur boite en bois, bouddhas de jade, vieux rouleaux calligraphiés, pipes à opium, coffrets à bijoux aux beaux motifs, baguettes chinoises finement sculptées mais aussi lanternes rouges, cages en bambou, vieilles pendules, porcelaines, théières, sabres, affiches publicitaires du Shanghai des années 30, vieux uniformes de l'armée rouge...
Dans ces antiquités patinées comme dans ces objets de pacotille, dans ces vestiges plus ou moins authentiques, dans cette babiole d'un monde perdu passé à la moulinette de la récupération économique, se logent les lambeaux d'une Chine éternelle qui, à mesure qu'elle s'éteint dans la réalité, semble éclairer l'imaginaire d'un feu toujours plus vif....
Chiner en Chine... N'est-ce pas le comble de l'errance ?
Dans cet immense broyeur de temps et d'espace qu'est Shanghai, quelque chose d’éternel venait subitement de se révéler dans la magie d'un feu d'artifice....
Suite du carnet : PASSAGER CLANDESTIN (4/7)
(Ambiance sonore : "Chinatown" - R. Boston - www.soundtransit.nl)