Ville du futur, métropole high-tech, cité du troisième millénaire, Manhattan chinois,... Les superlatifs se bousculent au moment d'aborder la zone économique de Pudong, située sur l'autre rive du fleuve. Immense concentration de tours de toutes tailles, cette véritable agglomération dans la ville - aussi grande que Singapour ! - à surgit de terre en à peine une décennie, recouvrant les paisibles champs fertiles que les quelques habitants parvenaient encore miraculeusement à exploiter « a l'ancienne », aux portes de la métropole en pleine expansion.
Bienvenue à «Jurarchic Park» !
Exceptionnellement, la marche ne se révèle pas, ici, le meilleur moyen d'aborder la ville. Après avoir « slalomé » à pied entre les premières tours, on comprend vite que rien ici - sinon la monotonie - ne peut surgir de la contemplation des détails, de la lenteur méditative ou de l'observation minutieuse. Pudong s'appréhende exclusivement par l'action, le mouvement,
Dans cette hallucinante errance rectiligne (le chauffeur s'interroge sur le fait que je lui demande de partir tout droit, sans destination précise...), on voit de nouveau défiler, dans le reflet des vitres, tout ce que l'urbanisme moderne sait produire avec de l'acier, du béton et du verre. Globes géants façon Géode, fusée de métal dont la pointe de perd dans les brumes, arche grandiose dont le trou central semble conçu pour laisser passer un dragon, dôme démesuré aux airs de vaisseau spatial... Et lorsque les buildings ne se réduisent qu'à de simples cubes, ce n'est que pour
A Pudong, l'architecture n'est pas un art. C'est un show !
Comme toujours dans ces cas-là, la concentration de grands volumes révèle rapidement le Vide qu'ils prétendent occuper. A la question du Néant dans l'existence, les chinois - mais ils ne sont pas les seuls - apportent ici une réponse toute quantitative : le gigantisme pour combler, la profusion pour remplir, la démesure pour impressionner…. Un sentiment d’autant plus vif qu'à la hauteur des buildings gigantesques s'ajoute la largeur de voies multiples qui quadrillent la ville. Si l'on souhaite tourner ici, il faut bien avoir à l'esprit la règle suivante : seul l'angle droit est possible, à gauche, à droite ou même vers le haut, en empruntant l'un des ascenseurs qui vous propulsent à grande vitesse (pression dans les oreilles garantie !)vers le sommets des gratte-ciel.
C'est fou ici tout ce que l'Homme peut mettre en oeuvre pour contribuer à sa propre déshumanisation !
Après avoir contourné un vaste rond-point - au centre duquel une immense structure parabolique paraît avoir été conçue pour communiquer avec les extra-terrestres - le taxi emprunte la même voie dans l'autre sens, au moment où la tombée de la nuit plonge lentement les immeubles dans l'obscurité. Atmosphère brumeuse, ambiance crépusculaire, vision impressionnante des silhouettes de ces géants dont le gothique high-tech évoque les paysages survolés par Batman dans Gotham City !
Sentiment de puissance au somment, sensation d'écrasement à la base, expérience du Néant à l'intérieur... Y a-t-il, finalement, meilleur résumé de la Condition Humaine que ce gratte-ciel en forme de pagode du 21ème siècle ?
A la fin de « Au coeur des ténèbres » (Joseph Conrad), fasciné par la beauté sauvage de la jungle et du chaos qui l'entourent, Kurtz, personnage mystérieux, ne parvient plus qu'a répéter ce seul mot: « l'horreur ! l'horreur ! »... Dans la démesure ordonnée de cette forêt de buildings se loge aussi, étrangement, quelque chose de pur, inhumain et fascinant...
suite et fin du carnet :
SOUVENIRS DE CHINE (7/7)
(Ambiance sonore : "Traffic" - P. Cusack - www.soundtransit.nl)