La langue de bois est en pleine restructuration : passé le règne des gros mensonges bien visibles, la transparence s’impose comme le must de la communication. La transparence, et non pas la clarté. La transparence est une propriété physique sans intérêt, une fenêtre demeure transparente même en pleine nuit. La clarté est une qualité plus subjective qui ne peut prétendre à autre chose qu’à éclairer la vérité, non pas à l’incarner. Pourtant le porte-flingue numéro un d’un malfaisant élyséen, dont les largesses de ses amis milliardaires ou ses amours vaudevillesques remplissent les journaux, déclare aujourd’hui : "Désormais nous vivons sous le signe de la transparence, et la transparence c'est la vérité".
Cette revendication affichée de transparence, cette sur-communication et ce matraquage médiatique, voilà la définition même de la propagande. Tous les régimes d’avant-guerre, d’est en ouest, en ont usé avec plus ou moins de bonheur, mais avec une égale ferveur et avec de semblables conséquences. La figure du leader est essentielle en de tels instants : puissant, décidé, sans faux-semblants et ami du peuple dans son combat contre une bureaucratie obèse, on attend de lui rien de moins que la Providence. Mais la qualité numéro un du leader, c’est qu’il est source de toute vérité, seul référent dans le marasme ambiant : « S’il ne le peut pas, personne ne le peut », s’enthousiasmait récemment d’Ormesson avec des accents d’évangélistes.
Et c’est là qu’entre Terry Gou pour couper dans le vif et nous expliquer ce qui se passe. Terry est un produit très typique de notre temps : parti de presque rien, il est celui qui construit les produits Apple à Taïwan, et bien d’autres trucs en plastic qui lui permettent de « peser » dans les 10 milliards d’Euros. Le Bilan du Monde 2008 dresse un portrait de lui, dont on ignore s’il est au vitriol ou à l’encens. Il paraît qu’il produit des dépliants à la gloire de sa propre philosophie d’entreprise et que tous ses employés en reçoivent. Ses ouvriers chinois exilés du continent doivent se trouver en terrain familier. Edifiante, cette citation est en gras dans l’article : « Un leader doit avoir le courage d’être un dictateur pour le bien de tous. » C’est fou ce que les milliards rendent courageux. Et transparents. Parce que cette transparence là possède non seulement le mérite insoupçonné d’être très claire, elle nous annonce en plus que, dans la sphère de l’économie comme dans celle de la politique, les dictateurs sont de retours.