Il y avait mercredi soir un débat sur l’indépendance du Kosovo dans l’émission Ce soir ou jamais de Frédéric Taddeï sur France 3. Le camp albanais peinait à convaincre en la personne de l’écrivain Skender Sherifi qui ânonnait le discours touchant du serf remerciant le seigneur qui vient de lui donner une vache, un lopin et un toit. Le camp serbe était représenté par Slobodan Despot, très brillant mais que je connais trop bien et sur lequel je ne me prononcerai donc pas plus, et par l’insondable Jacques Vergès, plus serbophile et provocateur que jamais
On est à Paris, et à quelques entorses près (cf. 1999), la France a depuis la Grande Guerre un petit faible déclaré pour la Serbie. Encore plus depuis que les ennemis sont désormais musulmans. Frédéric Taddeï ne semble donc pas cacher sa préférence pour le camp serbe, dont on devine alors que les invités ont été choisis pour leur capacité à rabattre le caquet dialectique du pauvre écrivain albanais, ce qu’ils accomplissent sans état d’âme. Et puis, les années Milošević sont loin désormais et les crimes serbes sont presque oubliés. C’est pourquoi ceux des Albanais contre les Serbes du Kosovo paraissent maintenant plus intéressants et colorés, en un sens plus nouveaux que ceux, tant ressassés, de Srebrenica, de Račak et d’ailleurs. Bref, les Albanais du Kosovo sont en passe d’endosser, bien malgré eux, le costume peu désirable du Bad Guy de l’Europe. Une fois leur indépendance clairement assumée, les Nations Unies et l’Otan pourront en effet les blâmer pour toutes les délicatesses – mafia rampante, criminalité endémique - dont ils portaient la responsabilité en silence. Jusqu’à ce dimanche 17 février.
L’histoire est un pendule étrange. On accusait les Serbes de tous les maux et on vantait le courage des résistants albanais, ce qui était faux. Désormais, on va se mettre à faire exactement l’inverse, et ça n’en devient pas vrai pour autant. Tout cela est très immatériel, seuls les noms changent. Mais les règles de ce jeu macabre ne changeront jamais. On y joue dans le monde entier, en Palestine, en Irak, en Irlande et ailleurs, avec comme seul principe que tout principe peut être violé au nom de nouveaux principes, eux-mêmes temporaires. La communauté internationale vient donc d’applaudir, un rien timidement, à la création d’un état, le Kosovo, selon exactement les mêmes méthodes de l’ennemi d’hier, la Serbie, celles du découpage ethnique décidé par une administration criminelle et mafieuse. Mais pour une raison ou un autre, ces méthodes sont maintenant acceptables par les puissances étrangères.
Il y a les catastrophistes, ceux qui comme Vergès voient l’Europe s’entredéchirer jusqu’à ce que tous s’affranchissent de leur état central et plantent un jolis treillis autour de leur hectare et demi de terre ou de pierre. Il y a les cyniques souriants qui disent que c’est la moins pire des solutions, que c’était inévitable. Il y a les triomphalistes qui brandissent drapeaux et calicots, les déçus qui font exactement la même chose et puis il y a les costumes à rayures qui décident de tout ça entre deux avions, selon des critères impénétrables. En ce qui me concerne, même si j’ai mes petits tropismes assumés, un malaise certain me saisit chaque fois que je me prononce en public sur ces sujets : aussi doctement que je puisse l’exposer, et comme je n’en ai qu’une expérience indirecte, la réalité historique qui se cache derrière les mots que j’emploie me semble bien trop lourde à porter.