Figure controversée et fascinante, entre histoire et légende, la personnalité de Jeanne d’Arc n’a jamais cessé de solliciter l’imagination de ceux qui s’approchent de sa passionnante histoire. En laissant aux spécialistes la reconstruction de sa biographie et de ses exploits, et en ignorant délibérément chaque interprétation chauvine de son personnage, à l’occasion du 600e anniversaire de sa naissance, nous souhaitons partager avec vous une des nombreuses interprétations poétiques que sa vie et sa mort ont inspirées aux poètes et aux chanteurs.
Parmi toutes, la voix choisie pour nous accompagner dans cet hommage est celle de Leonard Cohen, qui a écrit pour elle, en 1971, une des plus belles pages de musique et poésie.
La Jeanne d’Arc représentée dans sa chanson vit ses derniers instants et, désormais prête à s’abandonner aux flammes, tresse avec le feu un séduisant dialogue, d’amour et de mort. Seulement des rêves de jeune femme semblent caresser son intimité : elle rêve d’une robe de mariée, ou juste de quelque chose de blanc, qui puisse voiler sa douloureuse inclination au martyre. Le feu avance vers elle avec ses grandes mains brulantes, en lui déclarant son amour. Aucun espace pour la tendresse : son dévouement s’adresse à ce que chez elle il y a de plus cruel et sauvage : sa solitude et son orgueil. Jeanne, héroïne en décadence, s’abandonne aux flammes et, comme une épouse docile, se consigne à la mort. Mais le texte de Leonard Cohen est bien plus dense et révèle un jeu subtil : l’inattendue fragilité féminine de Jeanne et son abandon ne sont que fictifs ; ils représentent au contraire l’acte dernier de sa fermeté et de sa détermination, sa dernière victoire. Ce ne sont pas les flammes qui l’assaillent, c’est elle qui, devenue bois pour mieux bruler, choisit de se donner au feu ; c’est elle qui, paradoxalement, lui monte dedans, pour ne faire une qu’avec lui. « Then fire, make your body cold, I’m going to give you mine to hold». Saying this, she climbed inside to be his one, to be his only bride. » Sa mort n’est qu’un cruel instant, avant de se refondre dans le feu. Ils ne restent, à la fin, que les cendres de sa robe de mariée et un désir de poète : d’être, lui aussi, une créature de lumière et d’amour.