Jérôme Pellistrandi a été plus rapide que tout le monde : à peine publiée hier soir par le président Obama, la Nouvelle politique de défense des Etats-Unis fait déjà l'objet d'une analyse fouillée : bravo à lui.
J'ajouterai deux remarques :
- la nouvelle ambition (limitation à une seule opération majeure et capacité d'endiguer simultanément un autre adversaire) renvoie-t-elle aux deux challengers mis en relief, Chine et Iran ?
- Y a-t-il vraiment une pression mise sur les Européens ? sera-ce le thème du sommet de Chicago ? C'est ce qui ressortait de manière subliminale de la déclaration du Secrétaire général de l'OTAN, hier soir.
La nouvelle politique de défense des Etats-Unis
- Sustaining U.S. global leadership : priorities for 21st century defense. January 2012
Cette analyse n’engage que la responsabilité de l’auteur.
Ce jeudi 5 janvier 2012, le Président Obama a participé de façon exceptionnelle à la présentation de la nouvelle politique de défense des Etats-Unis pour la prochaine décennie. Il faut souligner que cette annonce majeure est faite au début du processus des primaires pour le Parti républicain et que les sondages sont en faveur du président Obama candidat à sa propre succession. Ce n’est pas un hasard s’il introduit ce document de 8 pages en se présentant comme le « commandant en chef ». Il assume pleinement cette fonction qu’il pourrait être appelé à poursuivre.
Les Etats-Unis sont en effet en phase de transition stratégique comme cela avait été annoncé, dès le début du mandat de l’administration Obama. La guerre en Irak est considérée comme achevée, la justice a été rendue avec la mort d’Oussama Ben Laden et la transition en Afghanistan est désormais engagée avec le transfert de la responsabilité vers les Afghans eux-mêmes. Certes, on peut discuter du résultat final, mais les promesses faites auront été tenues.
Mais la crise économique et financière enclenchée depuis 2008, oblige une remise en ordre profonde des équilibres économiques avec une réduction des dépenses y compris dans le domaine de la défense. Le retour à la prospérité est considéré comme un investissement stratégique vital pour les intérêts du peuple américain.
Par ailleurs, l’environnement stratégique a basculé vers la zone Asie – Pacifique avec le « challenge » majeur que représente désormais la Chine, partenaire mais aussi concurrent, voire adversaire potentiel. La zone du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) reste également centrale dans la future stratégie américaine, avec d’une part la sécurité d’Israël et la menace que constitue l’Iran engagée dans la course au nucléaire.
La refondation des forces armées devra donc s’inscrire dans ce nouveau panorama stratégique et permettre de répondre aux nouvelles menaces, allant de la prolifération nucléaire aux cyber menaces, en développant de nouvelles capacités basées sur la technologie et la versatilité des moyens. Cela ne doit pas faire oublier la dimension humaine, sachant que 46000 soldats ont été blessés durant cette décennie de guerre et que plus de 6200 ont été tués.
Le document ne détaille pas les modalités des réformes à venir ainsi que les réductions budgétaires en cours de discussion entre le Pentagone et le Congrès. Cependant, il dresse le cadre général de la future politique de défense et permet donc d’en tirer les conclusions notamment pour l’Europe et donc la défense française.
Tout d’abord, les Etats-Unis n’envisagent plus de conduire simultanément deux opérations majeures. L’objectif sera de pouvoir mener une opération principale et éventuellement une opération secondaire de faible amplitude.
L’horizon stratégique reste plus que jamais incertain, malgré la disparition de Ben Laden. Le terrorisme islamiste est toujours une menace active au Pakistan, en Afghanistan, au Yémen, en Somalie mais aussi en Asie du sud et au Moyen Orient. Cela signifie que la vigilance américaine ne baissera pas dans le suivi de ces pays, même si les méthodes évolueront vers un engagement au sol plus limité.
Mais la priorité clairement affirmée est le recentrage vers la région Asie- Pacifique avec les alliés asiatiques (Japon, Corée du Sud,…), mais aussi les partenaires clés comme l’Australie. L’Inde est également désignée comme un partenaire stratégique à long terme. Les récents achats d’armements par New Delhi aux Etats-Unis confirment d’ailleurs ce rapprochement également souhaité par les Indiens face à la perception d’un expansionnisme chinois plutôt agressif. Pékin représente bien la difficulté majeure, étant à la fois un partenaire économique vital pour l’économie américaine, mais ayant une politique militaire source de tensions régionales et de crispation. Il convient donc de bien signifier que Washington veut conserver son leadership pour préserver la stabilité de la zone et donc la prospérité en découlant.
La dissuasion nucléaire reste donc un élément central dans le dispositif militaire, même si une réduction des armements est envisagée, ne serait-ce qu’en raison de l’obsolescence des armes nucléaires les plus anciennes. Cela signifie aussi que l’option « zéro » présentée par le Président Obama au début de sa présidence n’est plus d’actualité. La défense anti-missile vient compléter, mais ne se substituera pas à la dissuasion. Il faut également poursuivre les efforts de contre-prolifération tant dans le domaine nucléaire que biologique et chimique, notamment dans la zone MENA et garantir à la fois la sécurité d’Israël, mais aussi celle du Golfe persique. L’Iran ne pourra pas agir impunément dans ses velléités de déstabilisation de la région. Si l’Europe est désignée comme le principal partenaire et devrait rester importante, il est essentiel que l’OTAN profite du retrait d’Afghanistan pour se transformer et assumer davantage de responsabilités et prendre une part accrue du « fardeau stratégique ». Il faut souligner qu’aucun pays du « vieux continent » n’est cité, pas même le Royaume-Uni et que l’Union européenne ne figure pas non plus dans le texte.
La Russie est un partenaire important, mais compliqué avec qui il faut continuer à travailler. Nul doute que Moscou veut retrouver un rôle stratégique plus conforme à ses ambitions et qu’il est important que ces ambitions restent compatibles avec l’approche de Washington. La porte reste donc ouverte…
L’Afrique et l’Amérique Latine restent importantes, à condition de développer des partenariats innovants, peu coûteux et réduits en termes d’empreintes au sol. La méthode « Africacom » semble ici la bonne voie, avec des résultats non négligeables avec seulement 2500 personnels environ. On peut souligner ici que ni Cuba et ni le Venezuela ne figurent comme menaces potentielles, en considérant que des transitions politiques vont survenir à courte échéance.
La liberté de circulation et d’accès aux ressources restera essentielle d’autant plus qu’elle conditionne la prospérité économique. Les espaces maritimes et aériens doivent rester ouverts. Il faut désormais y inclure le fait que le cyber espionnage et les cyber attaques contre les Etats-Unis sont considérés comme des actes hostiles. De fait, l’avance technologique américaine est vitale et devra être confortée. Microsoft, Apple ou Google participent donc directement à la stratégie de supériorité conduite par les Américains.
Le document décrit également les 10 principales missions que devront assumer les forces américaines pour la prochaine décennie. Le contre-terrorisme et la guerre irrégulière restent prioritaires, malgré le retrait en cours du théâtre afghan. Les efforts seront caractérisés par des actions directes, mais aussi par l’assistance aux forces locales. La vigilance restera de mise y compris contre le Hezbollah, bien implanté au Liban et dans la bande de Gaza.
La dissuasion et la défaite d’un éventuel agresseur nécessitent le maintien de capacités majeures, mais le principe de deux théâtres majeurs est abandonné avec désormais un théâtre principal et une opération secondaire. L’action en coalition et/ou avec les alliés restera souhaitable. La capacité de projection de puissance sera maintenue, malgré les efforts d’adversaires sophistiqués comme l’Iran et la Chine. Cela signifie de nouvelles capacités, incluant le développement d’un nouveau bombardier « stealth ». L’espace est à cet égard un avantage essentiel pour le Pentagone.
La lutte contre les armes de destruction massive du type NRBC doit être poursuivie avec un éventail d’actions très diverses incluant la détection, la prévention et la protection. L’Iran est ici clairement désignée comme la menace principale.
L’action dans l’espace et dans le cyber espace est donc vitale, tant en temps de paix qu’en temps de crise. La résilience est un objectif majeur et repose sur des investissements dans les technologies de pointe.
La dissuasion nucléaire sera maintenue et la garantie nucléaire reste assurée pour les alliés – non nommés-. Cela n’exclue pas la diminution probable du format des forces nucléaires.
La défense du territoire national (Homeland) et le soutien aux autorités civiles seront maintenus. La défense anti-missile doit faire partie des capacités nécessaires.
La présence outremer sera maintenue dans le cadre de l’accroissement de la cohésion avec les partenaires et de l’influence américaine. Toutefois, la réduction des effectifs et des implantations obligera à trouver des solutions innovantes au moindre coût. L’externalisation avec l’appel aux sociétés militaires privées (SMP) pourrait répondre à cet objectif.
La conduite d’opérations de stabilisation et de contre-insurrection ne sera pas abandonnée mais passera par une réduction du format des troupes envoyées et une claire limitation dans le temps. Il n’est plus question de reconduire des opérations sur une décennie comme ce fut le cas en Irak et en Afghanistan. L’analyse des leçons apprises sur ces théâtres devrait permettre de développer ces nouvelles capacités de contre-insurrection.
Les opérations à but humanitaire et de secours face à des catastrophes seront poursuivies en fonction des événements. Les forces américaines devront être toujours capables d’évacuer en urgence des citoyens américains qui seraient en danger.
Ces différentes missions vont ainsi conditionner l’organisation et le format des forces armées qui devront de toute façon conserver l’éventail complet des capacités militaires, mais en améliorant leur flexibilité et leur versatilité à un coût réduit. A cet effet, il devient essentiel de bien penser à la remontée en puissance et à une articulation optimale entre la composante active et la réserve, dont le principe est réaffirmé. Cette préparation, basée sur la réversibilité, devra être bien conduite pour éviter des pertes réelles de savoir-faire. La préparation opérationnelle sera donc essentielle, d’autant plus que les forces resteront basées sur le principe du volontariat.
La réduction des coûts sera poursuivie dans tous les domaines, y compris dans le soutien santé et dans la reconversion, même si leur maintien est bien souligné comme essentiel au moral du soldat.
La dimension interarmées (joint) devra être renforcée, dans la mesure où les opérations actuelles ont montré cette interdépendance. Cependant, de nouveaux efforts devront être conduits, en particulier dans l’entraînement.
Le Pentagone poursuivra également tous ses efforts pour maintenir l’avance technologique et industrielle actuelle. Le leadership américain sera conforté surtout dans les nouvelles aires de menaces et les besoins afférents que constituent le cyber et la capacité à conduire des opérations dans la profondeur. L’innovation reste donc au centre de la politique à conduire pour la nouvelle décennie.
La nouvelle stratégie américaine marque donc un infléchissement certain avec une réorientation vers l’Asie, la réduction du format des forces, mais le maintien du leadership dans tous les domaines, y compris pour les industries de défense et la capacité à agir sur tout le spectre des menaces et risques potentiels. La Chine et l’Iran constituent des sources de préoccupation majeure, avec la volonté réaffirmée que la capacité militaire américaine reste par nature suffisamment dissuasive. Si l’Europe est mentionnée, il est évident que pour Washington, il est temps que les Européens prennent une part accrue, ne serait-ce que dans leur propre défense. Cela signifie implicitement une nouvelle exigence vis-à-vis des Alliés européens. Il y a donc une opportunité pour relancer un projet européen plus crédible, mais préservant l’OTAN. La difficulté sera de persuader les Européens de cette nécessité stratégique.
Jérôme Pellistrandi
Réf : on lira aussi cette analyse d'Amy Green, sur potusphere